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Inutilement, il tenta de lui échapper ; il y était cantonné et, malgré qu’il en eût, il y resta. Il évoqua d’autres souvenirs, il visita l’Egypte, qu’il me semble avoir peu comprise parce qu’il la vit trop rapidement ; il étudia Venise, ce fut en vain ; dès qu’un de ses tableaux n’était pas emprunté à la vie algérienne, on ne le reconnaissait plus. On était tellement accoutumé à le voir vêtu du burnous et du haïk qu’on le croyait déguisé lorsqu’il prenait la veste des gondoliers ou la robe bleue des fellahs. Les marchands, les amateurs de tableaux, le repoussaient à l’envi vers le Tell et vers le Sahara, qu’il aurait voulu fuir. A toutes ses propositions on répondait : « Non, faites-nous quelque chose d’algérien, vous savez ? avec un de ces petits chevaux nacrés auxquels vous excellez. » Il pestait, et, pour la centième fois, il recommençait le petit cheval blanc, le petit ciel bleu, le petit gué argenté, le petit arbre sans nom dans la botanique et le petit Arabe aux bras nus. Un jour qu’il venait de terminer une de ses jolies toiles, il me la montra, et, levant les épaules avec impatience, il me dit : « Je suis condamné à ça à perpétuité ! » Il était décidé à rompre avec cette tradition forcée dans laquelle on renfermait ; il avait été visiter la Hollande pour en étudier les maîtres et aussi pour voir des prairies interminables, une végétation abondante, pour échapper à l’obsession du désert, du rocher aride et du palmier. Ce voyage à travers la verdure et les horizons brumeux aurait-il amené en lui une transformation ? Je le crois ; mais la mort ne lui permit pas de révéler son talent sous un aspect nouveau ; pour toujours, il restera le peintre de l’Algérie. L’impression qu’il en avait rapportée était d’une intensité bien puissante, car jamais il n’est parvenu à l’épuiser ni même à l’affaiblir ; elle survécut à ses études, à ses préoccupations, à ses voyages ; elle était pour lui comme un immense album, qu’il n’avait qu’à feuilleter pour trouver ces images charmantes dont il a formé l’œuvre à laquelle son nom est attaché.

Était-il sensible à la critique ? Je le croirais volontiers ; sa nature un peu maladive devait avoir des susceptibilités que son amour-propre savait dissimuler. Il n’hésitait pas à s’adresser des reproches, mais il n’aimait pas qu’on lui en fit. J’en découvre la preuve dans deux lettres prises parmi celles qu’il m’a écrites. Dans un des Salons de la Revue des Deux Mondes, j’avais cru devoir faire des réserves assez sérieuses sur un de ses tableaux ; il m’écrivit : « Vos observations sont justes, et je les signerais de ma main, si j’avais à parler de moi. Je vous remercie, cher ami, de ce que votre article contient de vérités, de sympathie, d’estime et de véritable affection. » L’année suivante, mon appréciation fut élogieuse sans restriction ; il m’en remercia en termes dont l’ambiguïté n’avait rien de douteux et me démontrait que mes observations