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Préault, quoique sa langue le démangeât parfois plus que son intérêt ne l’eût exigé, était un bon camarade, très laid, opéré de strabisme, parlant avec une voix aigrelette qui accentuait ses plaisanteries, de commerce facile, cherchant à frayer avec les hommes à réputation, ayant des amis partout, serviable et de cœur honnête. Il paraissait toujours heureux de vous rencontrer et avait chaque fois une parole aimable à vous dire. Ce n’était point un causeur ; il lançait des mots et ne pouvait se maintenir dans une conversation suivie. Il avait écrit un recueil de maximes et d’aphorismes qu’il consultait souvent. Comme Gélasimus, dans le Stichus de Plaute, il eût pu dire :

: Ibo intro ad libros et discaro de dictis melioribus.


Après sa mort, on commença de publier ce carnet ; on s’arrêta, car on s’aperçut que les u Pensées d’Auguste Préault » avaient été prises un peu partout, même dans La Rochefoucauld et dans La Bruyère !

Un autre faiseur de mots eut son heure de notoriété à Paris en même temps que Préault, dont il était le contemporain, on ne l’a connu que sous son pseudonyme de Laurent-Jan ; il s’appelait De Lauzanne ; il a manié le crayon, la plume, le pinceau, et n’a rien fait. Il a collaboré au Charivari, auquel il fournissait le vinaigre des Carillons, Vers 1840, il fut chargé de décorer le carré des paquebots-postes de la Méditerranée que l’on venait de construire sur les chantiers de la Ciotat ; sous l’empire, il dirigea l’ornementation des salons du ministère d’état. C’était un Parisien exclusif ; son domaine était le boulevard depuis le faubourg Montmartre jusqu’à la rue de la Chaussée-d’Antin. La vue de la campagne lui faisait horreur ; volontiers il eût répété après Théophile Gautier : « Les arbres sont à la terre ce que la moisissure est au fromage. » Il disait : « le plus beau spectacle de la nature ne vaudra jamais la vue d’un mur couvert d’affiches. » Les mains dans les poches, les jambes torses, les épaules irrégulières, on le voyait se promener sur l’asphalte, remuant sa tête osseuse, mâchonnant un cigare et aboyant ses bons mots. Il n’était pas tendre au pauvre monde et ne pardonnait aucune supériorité, ni celle du talent, ni celle de l’esprit, ni celle du caractère ; il ne pardonna jamais à personne. Sa cervelle était un alambic où les idées se combinaient jusqu’à ce qu’elles eussent produit un précipité qui était une maxime baroque ou un aphorisme de forme étrange. A force de concréter ses phrases, il les rendait inintelligibles et traitait tout le monde d’imbécile parce qu’on ne le comprenait pas. Montesquieu a dit : « Quand on court après l’esprit, on attrape la sottise. » Ce fut le cas de Laurent-Jan. Dans les œuvres littéraires de son temps, il ne cherchait, il n’admirait que la pointe,