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souvenir, qu’Alexandre se proposait de montrer aux peuples rangés sur son passage ; ce ne put être non plus une armée en désordre. Ni Ptolémée ni Aristobule n’ont parlé de cette fête bachique ; Aristobule se contente d’écrire « qu’arrivé dans la Carmanie, Alexandre sacrifia aux dieux pour les remercier de lui avoir accordé la victoire dans les Indes et d’avoir sauvé son armée dans la Gédrosie. » Ce devoir pieux, Alexandre n’y manqua jamais et la reconnaissance envers les immortels, sentiment naturel à toutes les grandes âmes, fit constamment partie de sa politique.

Remercier les dieux est fort bien, mais il ne faut pas oublier non plus de remercier ses compagnons d’armes. Peuceste avait couvert Alexandre de son bouclier, quand le roi, privé de sentiment, était à la merci des Malliens ; Alexandre lui réservait la satrapie de la Perside ; avant de quitter Poura, il tint à honneur de lui donner un premier témoignage de sa gratitude. Sept gardes du corps, — pourquoi ne dirions-nous pas plutôt sept aides de camp ? — étaient attachés à la personne royale : on peut juger de l’importance de ces fonctions par les noms des officiers qui les remplissaient : les somatophylaques se nommaient alors Léonatus, Éphestion, Lysimaque, Ariston, tous les quatre de Pella ; Perdiccas de l’Orestide, Ptolémée et Python d’Éorde. Une huitième place fut créée pour Peuceste : c’était en quelque sorte donner au vaillant somatophylaque un brevet de roi.

Tous ces soins accomplis, Alexandre songea enfin à se remettre en marche : il forma de l’armée deux colonnes ; Êphestion ramènerait la grosse infanterie, les animaux de trait et les éléphans ; « il prendrait, dit Arrien, la route qui suit le bord de la mer. » Cette route n’existe pas aujourd’hui et tout fait présumer qu’elle n’a jamais existé. La seule qu’Ephestion ait pu prendre, pour accomplir cette marche d’hiver et rencontrer, avec une température plus clémente, un pays moins dénué de ressources, est très probablement la route qui se dirige d’abord vers l’ouest, de Bam à Kirman et, de Kirman, tourne au sud pour gagner Bender-Abbasi. De Bender-Abbasi, on peut atteindre Lar, redescendre à la mer, remonter vers Firozabad, aller de nouveau chercher le littoral à Boushir et longer, à partir de ce point, le rivage, pour se porter à Suse par les vallées du Pasitigre et du Copratès. Ce sont de bien longs détours sans doute ; il faut de toute nécessité s’y résigner, quand on veut éviter les pâtés de montagnes de la Perside.

Alexandre, au contraire, tenait à rentrer dans ces défilés qui n’avaient, ni en l’année 331, quand il triomphait de Madatès et d’Ariobarzane, ni en l’année 330, quand il poursuivait les Mardes en plein hiver, jusque dans leurs retraites les plus inaccessibles,