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« Mon prédécesseur, dit-il, n’a pris aucune part au 18 brumaire ; ainsi, je n’ai pas à vous en dire mon opinion : je m’en félicite, je ne trouverais peut-être pas en moi l’impartialité nécessaire pour en parler. » Prononcées avec le son toujours grave de sa voix, mordante, ces paroles tombaient de sa bouche comme une sentence.

Il suivit M. Pasquier dans les diverses phases de sa vie d’homme d’état, tour à tour, sous trois gouvernemens, préfet de police, garde des sceaux et président de la chambre des pairs, servant le despotisme avec dignité et la liberté sans faiblesse. Puis il arriva, à ces quinze dernières années d’une incomparable vieillesse, qui furent accordées au chancelier comme une suprême faveur de la Providence pour juger de plus loin et de plus haut son temps, les hommes et lui-même.

Comme son prédécesseur, M. Dufaure prit au sérieux son titre d’académicien et il en accepta tous les devoirs. Il s’attacha de cœur aux, travaux de sa nouvelle compagnie, se montra assidu aux séances, attentif aux délibérations, soucieux des droits de l’Institut et s’intéressant à tout ce qui pouvait les compromettre ou les fortifier. Soit qu’il eût à prononcer le discours sur les prix de vertu, soit qu’il eût mission de rendre compte de quelques-uns des livres soumis chaque année à l’Académie, il recevait avec joie cette part de la charge commune. D’autres ont pu parler de l’autorité qu’il avait conquise dans les délibérations et des relations si douces qu’il aimait à y entretenir ; mais il n’est pas besoin d’avoir assisté aux séances intérieures de l’Académie pour rendre témoignage de la place qu’elle tenait dans sa vie. Pour cette intelligence habituellement occupée de matières légales, absorbée par les questions de gouvernement ou d’administration, les sujets littéraires présentaient un attrait particulier. Suivant l’heureuse expression que M. Patin appliquait à M. Pasquier, « il aimait à s’y engager, et l’on apercevait alors que son goût avait toute la sûreté de son discernement politique. »

Il retrouvait d’ailleurs parmi ses confrères l’écho des sentimens qui s’agitaient dans son âme ; le charme d’un commerce régulier avec des esprits de même trempe, souffrant des mêmes maux et appréhendant pour leur patrie les mêmes malheurs, ne détournait pas son esprit de l’objet habituel de ses méditations, et il continuait à avoir pour clientes ces causes d’un ordre supérieur qui intéressent la conscience humaine ou les garanties politiques.

Dans les derniers temps de l’empire, les fautes du gouvernement lui offrirent deux occasions solennelles de défendre de nouveau le droit et la liberté. Le souvenir de la brochure publiée par M. le duc d’Aumale hantait à ce point l’imagination des ministres qu’ils commirent à l’occasion d’un écrit de ce prince, non-seulement l’acte le plus inique, mais la plus lourde maladresse. Possesseur des archives