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donner aux Athéniens les lois les meilleures dans le sens absolu du mot ; il leur donna « les meilleures que des Athéniens pussent supporter. » La Cappadoce s’obstine à réclamer un roi ; elle se déclare complètement incapable d’exercer la libre autonomie dont nous prétendons la doter ; ne contrarions pas son penchant ; conservons la gérontocratie pour ceux qui en veulent. Cette philosophie éclectique ne fut pas seulement celle que pratiqua l’élève d’Aristote ; elle dirigea également en Asie la politique non moins sage des Romains.


II

Les rapports de Néarque avaient éclairé Alexandre sur l’importance que pouvait prendre le commerce de la Méditerranée avec l’Inde par la voie de l’Euphrate et du Golfe-Persique. Les efforts auxquels nous avons vu récemment les Anglais s’opiniâtrer pour arriver à s’ouvrir à travers l’Asie une route fluviale vers leurs possessions d’Orient s’imposaient plus naturellement encore au conquérant qui voulait faire de la Babylonie le centre de son empire. Alexandre eût rencontré sans doute dans son entourage plus d’un colonel Chesney à qui remettre le soin de cette exploration ; il préféra ne s’en fier qu’à lui-même. Dès que la flottille de Néarque se trouve réunie devant Suse, il s’embarque avec les hypaspistes, l’agéma et une partie de la cavalerie des hétaïres ; Éphestion conduira le reste de l’infanterie par terre vers le Golfe-Persique. C’est un des berceaux du genre humain qu’Alexandre va visiter, une contrée depuis longtemps peuplée, déjà semée de ruines, quand la Babylonie n’était encore qu’un désert, une région où l’âge des premiers patriarches a laissé son empreinte retrouvée par Loftus : « Le roi, dit Arrien, descend l’Eulée jusqu’à la mer, abandonne sur le fleuve la partie pesante de la flotte et, prenant avec lui les vaisseaux les plus légers, se dirige le long de la côte vers l’embouchure du Tigre. Un canal joint le Tigre à l’Eulée ; par ce canal, les navires demeurés en arrière viendront à sa rencontre. » En langage moderne, Alexandre à descendu le Karoun ; il va remonter le Shatt-el-Arab.

Les Perses, comme les Chinois, appréhendaient fort les attaques qui pouvaient leur venir de la mer ; comme les Chinois aussi, ils se préoccupaient peu du trouble que, par leurs travaux d’art, ils s’exposaient à jeter dans le régime régulier de leurs fleuves. Une vague tradition leur avait-elle appris que les premières colonies arabes et égyptiennes remontèrent naguère le Tigre et l’Euphrate pour venir asseoir leurs campemens dans les plaines de la Chaldée ?