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les railleries que ce Macédonien élevé à la grecque se permit contre les barbares, quand il les vit se prosterner devant Alexandre, provoquèrent le courroux d’un souverain résolu à ne pas laisser renaître les résistances qu’il eut, en Bactriane, tant de peine à dompter. Plutarque prétend qu’Alexandre, outré de colère, saisit la tête de Cassandre des deux mains et la frappa violemment contre le mur. De tels emportemens s’accordent assez mal avec la sévère étiquette que le roi s’appliquait alors à faire prévaloir à sa cour : s’ils eurent lieu, en effet, le crime dont furent accusés quelques mois plus tard les fils d’Antipater n’apparaîtrait-il pas sur-le-champ moins invraisemblable ? Quelle présomption plus accablante aurait pu inventer Olympias elle-même pour désigner aux soupçons de l’armée une famille qui ne se distingua jamais par l’oubli des injures ? Plutarque nous représente Cassandre comme atterré par les menaces que lui attira sa tenue indiscrète. « Sa frayeur fut telle, nous dit l’historien romain, que, devenu roi de la Macédoine et maître de la Grèce, il ne pouvait soutenir la vue d’une statue d’Alexandre. Un frisson convulsif agitait ses membres et la sueur du vertige courait par tout son corps. » Était-ce bien frayeur ? Ne reconnaîtrait-on pas là plutôt l’habituel effet d’un secret remords ? L’histoire, si elle accepte le récit de Plutarque, hésitera certainement à se prononcer.


III

D’Opis, Alexandre se préparait à passer à Ecbatane : la trahison d’Harpalus hâta ce mouvement. Alexandre, suivant le récit de Diodore de Sicile, presque littéralement reproduit par Quinte Gurce, conduisit ses troupes à travers la Sittacène, atteignit Sambane en quatre jours et Célones, colonie thébaine fondée par Xerxès, en trois marches ; il entra ensuite dans la Bagistane, contrée opulente, couverte à la fois d’arbres forestiers, de vergers et de moissons. A la Bagistane succédèrent les prairies de Nysée, pâturages sans rivaux dans le monde, où jadis les rois de Perse laissaient errer à l’état sauvage plus de cent soixante mille chevaux. Les désordres causés par la guerre avaient beaucoup diminué l’importance de ce haras royal ; Alexandre y trouva néanmoins encore près de soixante mille animaux. Il s’était reposé sept jours à Célones ; il s’arrêta tout un mois dans la Bagistane. Harpalus avait pris déjà une telle avance qu’Alexandre ne pouvait conserver l’espoir de l’atteindre : à quoi bon alors imposer par une précipitation inutile de nouvelles fatigues à l’armée ? Sept journées de marche conduisirent les troupes