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aussi, et retombant da chaque côté de ce noir visage, lui fait une coiffure gigantesque. Sa robe est d’écarlate brodé d’or. Il s’approche de nous et violemment, les yeux hagards, nous répète vingt fois la même phrase où le nom d’Allah revient toujours. On nous traduit : « Allah est le seul Dieu ! Allah est là-haut ! Allah n’a pas été mis à mort ! Allah est au ciel ! » Ceci est une protestation évidente contre notre qualité de chrétiens. Si nous n’étions en Orient, je dirais que cet énergumène est ivre. Il n’est que fou, de cette folie des fanatiques que la moindre excitation met hors d’eux. On nous engage à sortir un peu rapidement du jardin et à remonter en voiture. Nous traversons ce désert de poussière, dédale de monticules, de ruines, de maisons abandonnées, de monceaux de débris calcinés qui compose le vieux Caire et terminons notre journée par la mosquée d’Amrou, la première que les Arabes aient bâtie en Égypte. Dans sa simplicité et sa vaste ordonnance, elle est la véritable église des premiers temps, où le peuple entier venait écouter dans la grande cour intérieure la prédication faite sous les hautes galeries. On nous y raconte naturellement la légende du calife Omar, dont le lieutenant Amrou venait de s’emparer de l’Égypte, de fonder la ville de Fostât (ou vieux Caire), et de commencer la construction où nous sommes. Le calife, qui était un peu sorcier, s’aperçut un jour, de la mosquée de la Mecque où il faisait sa prière, qu’une des colonnes du nouvel édifice au Caire était mal taillée. Comme sa puissance était fort grande, il ordonna à un des piliers à côté de lui d’aller remplacer la colonne défectueuse. Par deux fois, le pilier frémit, mais ne s’envola pas. Omar, furieux, le frappa de sa kourbasch en lui criant : « Va donca nom de Dieu miséricordieux ! » Alors le pilier obéit, traversa les airs et vint prendre place dans la mosquée égyptienne. Nous croyons la légende, car nous voyons l’empreinte de la correction administrée par le successeur de Mahomet. Pourquoi ne pas croire aussi que la source abritée au milieu de la cour par un beau palmier, et par le charmant toit triangulaire à colonnettes qui recouvre le tombeau d’Amrou, communique tout directement avec le puits sacré de la Mecque ? Les galeries s’écroulent, les piliers enlevés en grande partie prouvent autant de vandalisme que d’incurie. Seules ces légendes restent debout, traversant les siècles. Elle sert quelquefois dans des occasions solennelles, cette mosquée abandonnée où le Coran a été prêché pour la première fois sur la terre d’Égypte. Ce matin, elle est déserte et bien grandiose dans sa solitude. Nous en ressorions par une cour infecte, entourée de fabriques de poterie la plus commune : dégoûtans nids d’enfans qui pullulent à moitié nus, les yeux mangés de mouches.

Nous trouvons en rentrant quelques nouvelles. Le colonel révolté de septembre, Arabi-Bey, qui depuis lors était relégué avec son