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sculptés d’arabesques. Que de nobles échantillons de la race humaine nous rencontrons à chaque pas ! Les types arabes sont extrêmement beaux, et de plus, l’expression joue un si grand rôle que les figures les plus ordinaires ne sont pas laides comme ailleurs. Ces tons bronzés adoucissent la dureté des traits, les dents sont invariablement éblouissantes, et ces yeux admirables, clairs, profonds, sont si intelligens ! Le regard est par momens pathétique, d’une douceur et d’une mélancolie indicibles. L’aisance des mouvemens me frappe toujours ; j’ai rarement vu un geste faux ; je n’en vois jamais de disgracieux. Au dehors de Bab-el-Nasr, la vieille porte fortifiée, nous trouvons le désert, et au bout d’un quart d’heure, nous sommes dans cet étrange et mélancolique quartier des Morts, — la nécropole des khalifes mamelouks du XVe siècle. Je ne sais rien de plus imposant que cette ligne de mosquées grandioses, semées dans le désert, à intervalles inégaux, entremêlées de tombeaux plus petits de la plus pure architecture sarrasine. Mais elles tombent en ruines, abandonnées, s’effondrant sans espoir de remède. Je ne sais laquelle des trois principales sépultures je préfère, ou de l’immensité sévère de la mosquée de Barkok, le contemporain de Tamerlan, ou de la charmante mosquée de Barsebaï, ou de l’exquis monument de Kaït-Bey, qui rappelle en petit la mosquée de Hassan avec les détails les plus délicats. Celle-ci est décidément la plus élégante de toutes. Les arabesques des fenêtres, les arcades en trèfle, le pavé en mosaïque de marbre, ont ce mélange parfait de goût indien, persan et grec qui a composé l’art arabe. La légende raconte que, chaque jeudi, Mahomet apparaît ici quelques instans, et on me montre la trace que laissent ses pieds sur un cube de granit rose. Comme je comprends la fantaisie du Prophète et que je voudrais pouvoir m’y associer ! Le minaret dentelé, d’une hauteur et d’une hardiesse prodigieuses, surplombe un sordide village, mélange de tombeaux, de masures habitées, de palais en ruines et de débris de toutes sortes. L’étrange contraste ! Quelques échoppes, où pendent des fichus bariolés, des fruits, des chameaux qui passent chargés d’oranges, quelques petits ânes pauvrement harnachés, des enfans qui grouillent en robe jaune ou cramoisie chatoient sur ces décombres. Un café borgne est rempli d’Arabes qui fument en nous regardant passer. Cela me tente, et bientôt on nous apporte une douzaine de tasses d’un café brûlant et parfumé, sur le péristyle de la mosquée. Faisant un détour dans le désert, nous rentrons par une autre porte de la ville. Le soleil se couche. Derrière nous, le profil blanc du Mokattam et son contrefort de granit rouge se détachent contre un ciel vert, irisé de rose. La ville, au loin, d’un bleu intense, la citadelle dorée, l’horizon violet, ont toutes les couleurs d’une palette. Je monte en voiture pour jouir