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lèvent tout leur charme. Comment tous les minarets vacillans, tous les édifices délabrés et qui ne se soutiennent « que par l’attraction du soleil » résisteront-ils à des tourbillons pareils ? Le ciel est soir, l’atmosphère grise de poussière. Tout est sombre au dedans et au dehors.


28 février.

La tourmente n’a fait aucun dommage au Caire, quoiqu’elle ait arrêté des trains de chemins de fer et causé des déraillemens. Le ciel est redevenu pur et nous allons à Héliopolis et à la ferme des Autruches. Sortant par l’Abassiéh, une longue route plantée de sycomores et d’oliviers nous conduit à travers un pays admirablement fertile et cultivé, à l’obélisque d’Héliopolis. Il est tout ce qui reste de la ville du soleil, où Moïse étudiait sous les grands prêtres, où Platon venait chercher la science. solitaire au milieu des champs de blé, n’étant remarquable ni comme hauteur, ni comme élégance, il a pourtant ce charme presque solennel d’un objet resté seul debout lorsque tout vestige des temples voisins a disparu. Il date de treize siècles avant Joseph, il a pu voir Abraham et Jacob, et il a eu d’l’unique fortune de n’être point brisé ou enlevé par les Romains, les Perses, les Califes ou les Américains de nos jours. Une bande criarde d’enfans déguenillés nous escorte pendant que nous allons chercher à deviner les cartouches effacés de son fondateur. « Ousortèsen, le roi ami du soleil, l’épervier d’or, le dieu gracieux, a érigé cet obélisque pour qu’il lui soit accordé de vivre toujours. » Quelle charmante manière de formuler un vœu et comme je le comprends dans ce beau pays de lumière !

Traversant le village de Matarieh, nous rentrons dans la vie moderne ; nous sommes à la ferme où l’un élève les autruches. L’établissement, fondé depuis trois ans à peine, est en train de devenir fort prospère. Le directeur nous montre ses élèves. Les hautes bêtes maladroites passent curieusement leurs petites têtes sottes par-dessus les clôtures de leurs parcs. Il y en a de tous âges : de très grandes qui ont trois ans et commencent à fournir de belles plumes ; d’autres, dans les couveuses artificielles, où l’on place les deux tiers des œufs pondus, car « le ménage » n’en couve jamais qu’un tiers, n’ont que six semaines et ressemblent à des dindons. Les mâles des autruches, nous conte le directeur, sont les plus galans des maris et les pères les plus dévoués : ils prennent la partie ardue de la longue tâche, couvent la nuit pour laisser reposer les femelles, et les envoient manger avant eux, pendant qu’ils tiennent chaud à