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conseillers-généraux et des juges de paix présidés par le président du tribunal civil. Depuis dix ans, ce système fonctionne ; il a donné des listes d’une valeur intellectuelle et morale qu’aucun parti ne peut méconnaître. La magistrature, si fortement attaquée, travaille chaque année à ces révisions de listes avec les élus du suffrage universel, et cette collaboration offre tous les avantages d’un contrôle sans qu’elle ait donné naissance aux conflits ou aux critiques. Des candidats ont parlé d’une réforme, mais l’opinion ne la souhaite pas, tant est sage la combinaison d’où sort chaque année la liste du jury.

L’assemblée nationale comptait dans son sein les hommes les plus éclairés, et quelques-uns avaient une compétence législative que nul ne contestait ; mais ils avaient les défauts que donne un long éloignement des affaires publiques : ils voulaient de grandes réformes, et, s’ils ne pouvaient les obtenir, ils se décourageaient vite. Après un puissant effort de travail dans toutes les directions, ils se fatiguèrent et ils revinrent à la politique. La trêve de Bordeaux allait expirer ; la libération du territoire, dont la date se rapprochait grâce à M. Thiers, marquait le terme de l’armistice des partis. Sans souhaiter l’ouverture des hostilités, M. Dufaure estimait, en 1872, qu’on ne pouvait plus beaucoup retarder l’époque où il faudrait donnera la France les principales pièces du mécanisme constitutionnel. La discorde des partis et surtout l’impossibilité de fonder sur le suffrage universel une dynastie vers laquelle aucun courant ne dirigeait le pays lui semblaient commander la solution. Dans l’assemblée, une grande fraction des députés avait une conviction contraire ; ils croyaient sincèrement que le pays était favorable à la monarchie, que M. Thiers était le seul obstacle à la restauration, qu’il suffirait de tenir le gouvernail avec plus de fermeté pour faire entrer au port le navire ballotté et terminer ainsi une traversée que le pilote se plaisait à prolonger. M. Dufaure avait suivi avec tristesse les progrès et les incidens d’une lutte sourde qu’il croyait fatale au pays ; s’il estimait les hommes de la droite, s’il respectait leur caractère, il ne sentait pour leur idéal politique aucune sympathie. Il était très résolu à lutter contre eux, mais il souffrait de voir leur intime alliance avec le centre droit : à ses yeux, toute politique sage, modérée, devait, dans notre pays et dans notre temps, s’appuyer sur ceux qui, sans exclusion absolue, veulent gouverner avec l’opinion publique, sous ses regards et sous son contrôle. Il aurait désiré que tous les défenseurs sincères du régime parlementaire, qu’ils le voulussent avec un chef d’état héréditaire ou électif, se réunissent en un groupe qui n’eût reconnu pour adversaires que les partisans absolus des trois formes politiques qui nient la liberté en inscrivant sur leurs drapeaux les formules du droit divin, du césarisme ou du jacobinisme.