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énergique contre les menées dissolutionnistes que les droites lui firent la plus triomphante ovation. À relire, à dix années d’intervalle, ce langage éloquent dans lequel le garde des sceaux ne se séparait en rien de ses collègues et du chef de l’état, on demeure confondu de la physionomie que l’esprit de parti et l’impression d’une séance peuvent donner à une harangue. À certains jours, l’assemblée voulait voir entre M. Thiers et M. Dufaure des nuances d’opinion là où, à vrai dire, il n’y avait que des différences de caractère.

Le succès du 14 décembre engagea M. Dufaure à s’occuper plus particulièrement des travaux de la commission des trente. Ce fut lui qu’elle appelait le plus souvent, ce fut lui que M. Thiers déléguait quand il fallait discuter pied à pied des articles dont il avait peine à supporter l’énoncé. La majorité de la commission ne craignait pas de dire que le « malaise dont on souffrait tenait à l’intervention du chef du pouvoir exécutif dans les débats, qu’en sa présence l’assemblée perdait sa liberté. » Il fallut des semaines et des mois de discussions minutieuses pour arriver à une transaction puérile qui permettait à M. Thiers de parler dans une séance annoncée à l’avance et dont il serait le seul orateur. M. Dufaure, après avoir débattu ces combinaisons bizarres, ressemblait au témoin d’un combat singulier qui aurait longtemps discuté sur le choix des armes et les conditions de la lutte : un seul point n’était pas douteux, c’est qu’un duel à mort allait s’engager. Il ne cessa pas d’assister M. Thiers ; il avait à cœur de servir de second à l’homme d’état qui, selon lui, portait le drapeau de la France,

Les événemens se pressaient : l’élection de M. Barodet à Paris et diverses élections de province avaient augmenté les alarmes de la droite. L’entrée dans le cabinet de MM. Casimir Perier, Bérenger et Waddington, remplaçant MM. Jules Simon et de Goulard, provoqua des interpellations ; ce fut M. le duc de Broglie qui les développa le 23 mai. M. Dufaure réfuta son discours point par point. Il n’y a pas à revenir sur cette lutte oratoire ; elle est à la fois trop voisine et trop lointaine.

Le chef des droites était profondément convaincu que le gouvernement de la France était armé d’une baguette magique, qu’il pouvait diriger à son gré le courant de l’opinion, que, si M. Thiers n’arrêtait pas le flot montant du radicalisme, sa complicité seule en était cause. Il était persuadé que le cours des événemens pouvait être changé par une main plus jeune et une résolution plus ardente de s’opposer aux progrès de la démocratie. La majorité le crut avec lui : son vote, en renversant M. Thiers, permit à M. le duc de Broglie d’en faire, sans rencontrer d’obstacle, une expérience tout à fait décisive.

M. Dufaure fut peu sensible à la perte du pouvoir, mais il aimait