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un ministère de parti, qu’aurions-nous fait ? Nous aurions gardé l’arme dont on s’était servi, et vous auriez eu peut-être à en gémir autant que nous en avons gémi pendant les dernières élections. Nous n’avons pas voulu le faire ; nous croyons avoir agi en véritables politiques et, au lieu de demander pour nous le funeste présent de pouvoir supprimer les journaux de nos adversaires et de laisser répandre les nôtres, nous vous avons demandé de voter une loi claire ; correcte et précise qui interdirait au pouvoir de faire à jamais ce que nous aurions pu faire, si nous avions été des hommes de parti. » (26 février 1878.) M. Dufaure exprimait ainsi les sentimens de toute sa vie.

Il avait hâte de voir se clore ces discussions rétrospectives et irritantes. En réparant les maux du passé et en fermant les brèches, le ministère avait accompli la première partie de son œuvre ; il allait pouvoir se tourner vers l’avenir, se mettre au-dessus des récriminations et marcher dans une voie d’études que les colères ne viendraient plus troubler. Le garde des sceaux avait de grands projets législatifs. Il était persuadé qu’aux réformes de l’ordre purement politique qui convenaient aux esprits superficiels, parce que le premier venu, après avoir lu un journal, s’y croyait propre, il fallait substituer de vastes révisions telles que celles de nos codes criminels. En 1832, le gouvernement de juillet avait amélioré le code pénal. Il fallait tenter la même œuvre pour l’instruction criminelle, qui portait la date et le reflet du premier empire. Il en chargea une commission où il appela les membres les plus compétens de la cour de cassation. Président de la société des prisons dont il avait été l’un des fondateurs, il fit des efforts pour ramener au ministère de la justice l’administration pénitentiaire. En même temps, il préparait et présentait une loi sur l’extradition, voulant faire rentrer dans le domaine législatif et judiciaire une mesure que réglait seule l’infinie variété des traités[1].

Il avait bien d’autres projets, mais les jours et les semaines s’écoulaient trop vite ; les dossiers s’accumulaient sur sa table ; chaque ministre lui soumettait les affaires les plus difficiles, les questions qui divisaient deux départemens ministériels. Il lui fallait toute sa vigueur pour conserver sa liberté d’esprit ; parfois il aurait voulu fermer sa porte, qui était assiégée : « Je ne sais auquel entendre, disait-il, et si j’en croyais les députés, je laisserais tout cela pour m’occuper de leurs juges de paix. Les affaires d’état, la conférence de Berlin ! qu’est-ce que cela ? Les affaires de mon canton, voilà les matières sérieuses ! J’ai achevé les réintégrations que

  1. Présentée en 1878, cette loi fut votée par le sénat ; mais le gouvernement n’a pas jugé à propos de l’apporter à la chambre des députés.