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formule nous paraît inadmissible et pour l’expérience et pour la raison. En premier lieu, à consulter l’expérience, les faits semblent la démentir sans cesse. La nature fait continuellement du supérieur avec de l’inférieur, de la vie avec de la matière, du sentiment et de la pensée avec de la vie. Le moindre mouvement, le moindre changement implique déjà une supériorité acquise et réalisée, ne fût-ce que sous le rapport de la force motrice et de la puissance, puisque tout mouvement suppose une force en excédent sur les autres forces. De plus, comme chaque force est déjà elle-même une composition de forces, on peut dire qu’elle est déjà une organisation ; or, dans la lutte des êtres organisés pour la vie, toute supériorité est une condition sine qua non de durée et même de simple existence ; car, pour être et persévérer dans l’être, il faut se subordonner les forces inférieures, les entraîner par quelque moyen dans son propre courant et se faire comme leur centre de gravitation. La vie même, étant une adaptation croissante au milieu, est donc un progrès perpétuel ; ce progrès se transmet et s’accélère par l’hérédité ; enfin, sous la loi de la sélection naturelle, l’inférieur est comme forcé, pour subsister, de devenir supérieur ; la nature enferme chaque être dans ce dilemme : Progresse ou disparais. Ainsi se développent, par une sélection graduelle, toutes les formes d’organisation supérieure, non-seulement la puissance motrice, mais encore la sensibilité, l’intelligence, la volonté, l’amour. — En second lieu, à consulter la raison, le changement serait encore plus difficile à expliquer qu’il ne l’est déjà, si le supérieur ne provenait pas de l’inférieur, car pourquoi l’être changerait-il ? L’évolution implique un besoin non satisfait, une existence incomplète et conséquemment inférieure, d’où peut sortir une meilleure distribution des choses et une meilleure accommodation ; en d’autres termes, elle implique un équilibre encore incomplet entre l’être et son milieu ; de là résulte une souffrance, par cela même une tendance à un état de jouissance supérieure, et cette jouissance, d’abord égoïste, finit par être liée à la jouissance d’autrui.

On objecte, avec Platon et Descartes, qu’il ne peut y avoir dans la cause plus que dans l’effet et que de rien ne peut sortir quelque chose : De nihilo nihil. — Mais cet axiome n’a de sens que s’il exprime l’équivalence universelle des forces ; il n’implique pas que l’effet ou la résultante des forces ne puisse contenir rien de nouveau, rien de meilleur, car alors l’effet, étant de tout point identique à la cause, se confondrait avec elle ; il n’y aurait plus aucun effet, et tout serait immobile. L’axiome de causalité deviendrait la négation de la causalité. Il peut donc y avoir dans l’effet plus que dans la cause, sous le rapport de la qualité et de la relation, c’est-à-dire de l’effet