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et tous ses ridicules, Samuel Johnson n’en demeure pas moins un très grand homme. C’est qu’aussi bien parfois Macaulay a le style, pour ainsi dire, trop fort, et qui grave trop profondément. Lorsque donc la physionomie du modèle est elle-même déjà caractérisée, comme celle de Samuel Johnson ; par une vigueur inaccoutumée des traits, la rudesse de l’aspect et l’exagération du tic, l’image qu’en trace Macaulay, quoique ressemblante, nous apparaît comme une caricature et cependant n’en est pas une. Mais quand c’en serait une, et quand il serait vrai que l’originale figure de Samuel Johnson est plus digne du crayon d’Hogarth que du pinceau de Reynolds ou de Lawrence, qu’est-ce que cela pourrait faire au talent de Johnson et, pour être grotesque à voir, en serait-il moins digne d’être compté parmi les grands noms de la littérature anglaise ? Je me reprocherais là-dessus de ne pas ajouter que le style de Macaulay, quand il le faut, a autant de souplesse et de délicatesse que de force. L’une des plus nobles vies, le plus constamment dignes, le plus simplement et le plus généreusement vouées au bien qu’il y ait dans l’histoire d’aucune littérature est celle d’Addison, et l’une des plus belles biographies littéraires qu’il y ait, le plus élégamment racontées et le plus doucement émues, sans emphase ni pompe, comme sans excès de sentimentalisme, est incontestablement l’Essai sur Addison.

Il paraîtra peut-être singulier qu’après avoir loué dans Macaulay cet instinct et presque cette passion de la justice, on se demande maintenant si sa critique est toujours impartiale. La question cependant est de celles qu’on ne saurait se dispenser d’indiquer à propos d’un écrivain anglais. La politique en Angleterre est mêlée trop intimement à la littérature pour qu’il n’advienne pas souvent que la critique n’y soit guère qu’un moyen de satisfaire des ressentimens de parti. L’impartialité d’ailleurs est-elle possible aux hommes, et ce que l’on vante sous ce nom, parce que quelqu’un l’a vanté le premier, est-ce autre chose qu’un idéal que l’on propose à l’histoire ? C’est une question plus générale, que nous aurions essayé, sinon de résoudre, au moins d’agiter, si nous avions eu la prétention d’examiner l’œuvre entière de Macaulay. Nous nous serions sans doute alors aperçu qu’on ne peut pas s’empêcher de porter, quoi qu’on en dise, les préoccupations du présent dans le récit du passé. Si quelqu’un pense qu’il ait écrit l’histoire de la révolution française sans y laisser percer, à chaque page, pour ne pas dire à chaque ligne, ce qu’il continue d’espérer ou de craindre des principes que cette révolution, bientôt centenaire, a jetés dans le monde, il se trompe lourdement. Et je dis qu’il n’est pas plus facile à un Anglais de parler avec impartialité, sans égard à ce qu’il pense du bien ou du mal actuels qui en sont résultés, de la révolution qui a chassé le dernier Stuart du trône d’Angleterre. Mais