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son arsenal souterrain, à la réédification d’une Rome païenne dans le bel âge de la renaissance. Toutes les misères, toutes les gloires, tous les tumultes, ont laissé leur trace dans l’aspect de la ville par des édifices ou des destructions. L’état de la ville durant le séjour des papes à Avignon, les maisons branlantes et ruinées, les rues dépavées, le Capitole et le forum, où paissaient les chèvres et les vaches, les places transformées en marais, suffisent à dépeindre dans son silence et sa morne désolation l’histoire de ce temps.

Sur cette scène, centre de la pensée et de la foi de l’univers catholique, s’agitent papes et empereurs, tribuns et condottieri, Orsinis et Colonnas, guelfes et gibelins ; les barbares, les pèlerins des jubilés, les moines, les flagellans la parcourent et se succèdent comme des flots toujours renouvelés. Le fanatisme religieux, l’amour et l’honneur chevaleresques, la liberté démocratique, ces puissans leviers des foules populaires, ces causes des croisades, de l’inquisition, de la guerre civile, s’y trouvent exprimées par de grandes figures romantiques ; c’est Arnaud de Brescia, le fougueux ennemi du pouvoir temporel, prophète et martyr de ce que nous appelons nos idées modernes, dont la cendre fut jetée dans le Tibre pour que les Romains ne pussent l’honorer ; c’est Cola di Rienzo, tribun grisé d’antiquité, comme don Quichotte par les romans de chevalerie ; c’est saint Dominique, et Dante, et Pétrarque, et saint François, « qui mit la pauvreté sur un trône d’or. » — Les héroïnes non plus ne manquent pas, saintes et courtisanes, nonnes et amazones ; Theodora, Marozia, Berthe, Irmengarde, qui, à la tête des factions, aidèrent à décider le sort de l’Italie et de Rome ; à côté d’une comtesse Mathilde, sorte de Deborah guerrière, une Catherine de Sienne, pauvre fille du peuple, animée de l’amour le plus pur et le plus prophétique, qui avait échangé son cœur contre celui du Christ et mourut à trente-trois ans minée par le profond chagrin que lui causaient les divisions de l’église : « Ceux que l’humanité admire le plus, dit M. Gregorovius, à propos de cette figure attendrissante de sainte Catherine, ce sont surtout ces êtres qui ont surmonté leur propre moi, et nous considérons cet oubli de soi-même comme une action incompréhensible et comme la solution du plus haut problème dans la nature. » — Ce jugement ne rappelle en rien les remarques railleuses de Voltaire sur la vie de sainte Catherine racontée par son confesseur. Il n’est permis de parler d’une Jeanne d’Arc ou d’une Catherine qu’avec un sentiment de poétique respect[1].

  1. Proclamée patronne de Rome, afin d’intercéder en faveur du maintien du pape, elle qui autrefois l’avait ramené d’Avignon, la sainte nationale de l’Italie était en vogue vers 1866. À cette occasion, un auteur français, Mme de Flavigny, a publié une histoire approfondie de sainte Catherine, inspirée par la plus pure orthodoxie. Dans un ouvrage récent sur le même sujet, M. Alfonso Asturaro étudie les phénomènes psycho-pathologiques présentés par les saintes et les possédées du moyen âge (Santa Caterina da Siena, asservazioni psicopatologiche ; Napoli, 1881). Ce n’est pas sans appréhension que l’on voit ces dures mains d’opérateurs toucher à des apparitions diaphanes. On l’a dit avec esprit, ce n’est plus le bourreau du comte de Maistre, c’est le médecin aliéniste qui est devenu la pierre angulaire de l’histoire et des sociétés humaines.