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vont de plus en plus s’accentuer à l’Opéra-Comique, aujourd’hui que, faute d’une scène lyrique intermédiaire, notre Académie nationale devient forcément un théâtre d’essai. Si nous avons vu des temps où l’Opéra pouvait ne représenter que des chefs-d’œuvre, ces temps illustres ont vécu, les rôles sont intervertis, c’est maintenant l’Opéra-Comique qui passe à l’état de musée. Pendant que M. Carvalho remet en évidence Mozart et Méhul et qu’il s’apprête à reprendre Cherubini, M. Vaucorbeil, sans gloire ni profit et par une sorte de fatalité que l’existence d’un théâtre lyrique eût conjurée, M. Vaucorbeil essaie les jeunes. Vanité des programmes et des hommes, on devait restaurer Gluck sur son trône, introduire Beethoven à l’Opéra ; on devait être le grand salon carré du Louvre, et nous sommes les témoins du peu dont on se contente. Mais que voulez-vous ! « Le cahier des charges, la commission du budget, les ministres, L’Institut. Ah ! s’il y avait un théâtre lyrique pour aider à toutes les expériences qui sont et seront la ruine du répertoire de l’Opéra ! » Et le théâtre lyrique ne vient jamais !

La chambre, le gouvernement, le conseil municipal, l’industrie privée, tout le monde en caresse l’idée, personne ne l’exécute. Ou cherche le secret de cette émulation à la fois si générale et si stérile ; que les curieux regardent donc du côté de l’Opéra-Comique ; ils apprendront que, si la chose ne se fait point, c’est probablement qu’elle était déjà faite et que M. Carvalho s’ingénie en tapinois à réaliser le projet que les autres discutent. Qu’est-ce que cet Opéra-Comique qui joue alternativement Jean de Nivelle et la Flûte enchantée, sinon le théâtre lyrique du boulevard du Temple où figuraient également l’ancien et le moderne : L’Oberon de Weber à côté de la Reine Topaze de Victor Masse, les Pêcheurs de perles de George Biset près du Don Juan de Mozart ? Croyez-moi, les habiles sont les gens d’une idée, et lorsque l’idée est bonne, ils l’emmènent avec eux partout où ils vont, quittes à lui ménager les grands et petits bénéfices de la circonstance. Les ministres, les commissions et les cahiers des charges auront beau se montrer farouches, l’Opéra-Comique, sous M. Carvalho, ne sera jamais qu’un théâtre lyrique perfectionné, un théâtre lyrique ayant en plus le répertoire de Boieldieu, de Méhul, d’Herald et d’Auber. — On ne discute pas les Noces de Figaro, et s’il se rencontre des esprits assez abandonnés du ciel pour méconnaître les beautés de cet ordre, on les ignore. « Cela ne se discute pas, disait Beethoven, il faut le sentir. » Les figures de Mozart sont réelles, réelles pour fa première fois, car personne avant lui. ne s’était avisé de faire vrai, pas même Gluck, dont les personnages sont plus encore des types que des êtres humains.

Mozart, avec les Noces de Figaro, avec Don Juan, passe de la vie mythologique à la vie dramatique, au théâtre, contemporain. Les Noces de Figaro datent de 1786, Don Juan de 1787. Que deux pareils chefs-d’œuvre aient pu naître ainsi coup sur coup, on ose à peine y croire !