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organiques ; au fond, plus de distinction essentielle entre les phénomènes psychiques et les phénomènes physiques, toute distinction de ce genre impliquant une différence de substance là où l’on ne peut concevoir qu’une différence de manifestations. L’unité de la nature est présumée, je ne dirai pas affirmée, ce qui serait contraire au programme de l’abstention la plus rigoureuse sur les origines et les causes premières ; mais les résultats sont les mêmes : la base de la psychologie cherchée dans la biologie, la base de la morale dans l’histoire naturelle des espèces ; la vie humaine ne différant pas par ses conditions et ses lois fondamentales de la vie universelle, qu’elle représente seulement avec un degré supérieur d’intelligence qui permet à l’homme de se rendre mieux compte de ces conditions et de ces lois. Il n’y a nulle part interruption brusque dans la série des phénomènes, lesquels se ramènent tous également à des métamorphoses incessantes de la force et de la matière, apparaissant soit comme individus sous les formes d’un monde ou d’un astre, d’un corps ou d’une cellule, soit comme phénomènes, sous les formes du mouvement ou de la sensation, de l’instinct ou de la pensée, irréductibles jusqu’à présent les unes aux autres, mais de plus en plus serrées par l’analyse et destinées à révéler un jour ou l’autre leur identité sous la variété purement apparente des circonstances et des conditions qu’elles rencontrent dans le mélange infini des choses. — Ne rien admettre, ne rien croire que sur la foi de l’expérience positive, voilà toute la doctrine et toute la méthode. C’est sur cette base que l’on s’engage à reconstruire la vie morale tout entière, qui risquait de périr sous les débris des vieilles doctrines. A-t-on tenu cet engagement ? S’il n’est pas tenu encore jusqu’à l’heure présente, peut-on prévoir qu’il le sera un jour, que les promesses des novateurs seront accomplies et que l’on finira par rendre à l’humanité, sous une autre forme, en échange de son adhésion à la vérité nouvelle, les richesses intellectuelles et morales qu’elle était menacée de perdre, ou du moins l’équivalent positif de ces idées qui seules nous semblaient capables de donner à la vie sa valeur et son prix ?


II

La question ainsi posée n’a pas l’air d’embarrasser les positivistes. On leur dit : « Vous enlevez à la vie humaine tout ce qui pouvait, aux yeux des sages, la sauver de la vanité absolue. Prouvez maintenant que ce qu’il en reste n’est pas vain. » Ils acceptent cette mise en demeure. Il se font fort de prouver qu’ils n’ont après tout détruit que des