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l’établissement d’une république en Irlande, ses chefs des Irlandais réfugiés aux États-Unis à la suite des événemens de 1848. Le public et le gouvernement lui-même n’étaient qu’imparfaitement renseignés sur les projets et les moyens d’action des conspirateurs. On savait seulement qu’on se trouvait en présence d’une association politique, les fenians ; on savait que cette association, après s’être développée mystérieusement pendant de longues années, ne prenait plus la peine de se dissimuler et tenait publiquement ses assises sur le sol des États-Unis et à l’abri des lois américaines ; on savait que, dans les derniers mois de 1865, plusieurs chefs fenians, venus d’Amérique en Irlande pour organiser l’insurrection, avaient été eus en état d’arrestation, que l’un des plus habiles et des plus audacieux, James Stephens, était parvenu à s’échapper de sa prison, grâce à la complicité d’un gardien probablement affilié à l’association ; que trois autres, O’Donovan Rossa, Thomas Clarke Luby et John O’Leary, avaient été condamnés, le premier aux travaux forcés à perpétuité, les deux autres à vingt ans de la même peine ; on savait que ces condamnations rigoureuses n’avaient point découragé les adeptes du fenianisme, que, tout au contraire, depuis plusieurs semaines, ils paraissaient redoubler de confiance et d’activité ; qu’on avait constaté la présence en Irlande de plusieurs centaines d’émissaires venus d’Angleterre et d’Écosse et payés à raison d’un shilling et demi par jour ; qu’on avait découvert à Dublin trois fabriques d’armes clandestines ; qu’en un mot, tout semblait se préparer pour une prise d’armes générale comme celle de 1798. On savait enfin que le commandant en chef des troupes en Irlande, sir Hugh Rose, un soldat qui avait fait ses preuves dans l’Inde et en Crimée, considérait la situation comme très grave et qu’en conséquence le gouvernement ne pouvait plus répondre de l’ordre si on ne lui conférait des pouvoirs exceptionnels.

À ce cri d’alarme, conservateurs et libéraux répondirent en accordant au ministère tout ce qu’il demandait. Seuls quelques radicaux, M. Bright, M. Stuart Mill, protestèrent contre la suspension des garanties séculaires qui protègent en Angleterre la liberté individuelle. M. Bright déplora, en termes éloquens, l’inimitié réciproque qu’un long passé de luttes et de violences avait créé entre la Grande-Bretagne et l’Irlande : « Soyez sûrs, dit-il, que si les Irlandais le pouvaient, ils arracheraient leur île de ses fondemens et la transporteraient à quatre-vingts lieues plus loin vers l’occident. » Stuart Mill s’efforça de démontrer l’inanité de la politique de répression pratiquée par la plupart des cabinets à l’égard de l’Irlande. Non-seulement la résistance de ce petit groupe n’empêcha pas le vote, mais elle ne le retarda même pas. Le ministère avait déclaré qu’il