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politique des Plantagenets et, après eux, celle des Tudors et des Stuarts, fut de substituer le régime du fief au régime du clan, la propriété féodale à la propriété collective. Henri II commence ; Jean sans Terre, Henri III continuent : tantôt ils confisquent des terres pour les donner à leurs compagnons d’armes et les soumettre naturellement au régime féodal ; tantôt, chose plus curieuse, ils transforment les chieftains irlandais en seigneurs féodaux ; ils se font remettre par eux les terres de leur tribu, puis les leur rendent à titre de fiefs en les créant barons anglais. Leurs anciens copropriétaires, les membres du sept, ne sont plus dès lors que leurs fermiers ou tenanciers. Telle est du moins la situation légale ; quant à la réalité, c’est autre chose. Les vieilles mœurs protestent contre cette loi nouvelle. Les membres de la tribu se considèrent toujours comme propriétaires du sol sur lequel leurs pères ont vécu avant eux et leurs grands-pères avant leurs pères. La lutte commence entre le vieux droit celtique et le nouveau droit germanique, entre la loi des Brehons, proscrite par les Plantagenets, et la loi anglo-normande, repoussée par les Irlandais. Pendant longtemps, au surplus, le régime féodal ne franchit pas les limites restreintes du pale ou de la marche, c’est-à-dire de la partie du pays la plus voisine de Dublin. Partout ailleurs, c’est-à-dire dans les trois quarts de l’Irlande, l’autorité des Plantagenets est presque nominale et l’antique constitution de la propriété subsiste toujours.

Sous Édouard III, la conquête anglaise fait un pas en avant. Le XIVe siècle, on ne l’ignore pas, fut une époque d’expansion pour la monarchie anglo-angevine, qui faillit un instant conquérir la France, entraîner l’Espagne dans son orbite et constituer un vaste empire dans l’Europe occidentale. L’épée de Du Guesclin et la politique de Charles V ne furent pas de trop pour arrêter ces ambitions menaçantes. Tandis que le prince Noir poursuivait sur le continent l’exécution des grands desseins de son père, un autre fils du roi, Lionel, duc de Clarence, était nommé vice-roi d’Irlande et avait pour mission de plier enfin aux lois et aux mœurs anglaises ce pays réfractaire et cette population intraitable. Non-seulement les Irlandais de pure race, les Irrois sauvages, comme on les appelait dédaigneusement, avaient gardé leurs vieilles coutumes, mais les Anglais transplantés en Irlande avaient fini par les adopter. Par des mariages, par des unions irrégulières, par les mille liens que crée l’existence commune, la race conquise s’était assimilé la race conquérante. Phénomène fréquent : le vaincu absorbe le vainqueur ; la terre absorbe le maître ; la femme absorbe l’homme. Pour réagir contre cet état de choses, la politique anglo-angevine employa des moyens d’une implacable sévérité. En 1337, le vice-roi tient un parlement à