Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une armée ; pour équiper l’armée, des subsides, pour voter les subsides, un parlement. C’est ce parlement qui fait la révolution d’Angleterre.

Huit ans se sont passés. Charles Ier est mort sur l’échafaud. Cromwell est tout-puissant en Angleterre : il veut l’être aussi en Irlande. En 1649, il se fait nommer vice-roi de ce pays. Il y débarque le 15 août avec ses bataillons de puritains, animés d’un sombre fanatisme. Pendant quatre ans l’impitoyable soldat promène le fer et le feu à travers toute l’Irlande. Enfin, en 1653, sûr désormais d’être obéi, décidé en tout cas à briser les résistances si elles se produisaient, il exécute la plus terrible entreprise qu’on ait jamais tentée contre un peuple et contre un pays. Ce n’est pas moins qu’une expropriation en masse de tous les Irlandais, aussi bien de ceux de pure race que de ceux qui, descendus de colons anglais, ont adopté les mœurs et surtout la foi religieuse de leur nouvelle patrie. L’Irlande est divisée, comme on sait, en quatre grandes provinces : le Munster, le Leinster, l’Ulster et le Connaught. Les Irlandais catholiques sont expulsés de trois de ces provinces. La quatrième, le Connaught, leur est affectée comme lieu de résidence ou plutôt d’exil. Ils recevront là un tiers de ce qu’ils possédaient de terres dans leurs anciennes résidences. Les biens confisqués sont, ou donnés aux soldats de Cromwell, ou livrées aux spéculateurs de Londres et des autres grandes villes de l’Angleterre en paiement des sommes qu’ils avaient avancées pour les frais de l’expédition en Irlande. Le système peut se résumer en deux mots : les trois quarts de l’Irlande aux Anglais et aux protestans ; un quart aux Irlandais et aux catholiques. Voilà le principe général ; dans l’application, il est tempéré par le caprice ou par l’intérêt du vainqueur : on garde dans les trois provinces protestantes un certain nombre de catholiques dont on a besoin comme laboureurs, journaliers, hommes de peine ; on laisse, par grâce, une partie de leurs biens à quelques propriétaires catholiques spécialement signalés comme ayant montré un zèle constant en faveur du gouvernement anglais. Simple tolérance, essentiellement précaire, facilement révocable, achetée en tout cas par d’incessantes humiliations. La règle est celle-ci : à dater du 1er mai 1664, l’Irlandais, le catholique, sauf exception dûment justifiée, doit vivre à l’ouest du Shannon. Si on le trouve en-deçà du fleuve, sur la rive gauche, dans la partie que les protestans se sont réservée, on peut le tuer. Ce refoulement de la population indigène dans la partie ouest de l’île a reçu un nom expressif, celui de transplantation. Parmi les transplantés se trouve uni descendant d’Edmond Spenser, qui, soixante-dix ans auparavant, avait reçu en donation de la reine Elisabeth des biens confisqués aux Fitzgerald. Un