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lui que comme d’un subalterne. Un d’eux eut l’inconvenance d’écrire à un de ses amis : « N’oubliez pas d’acheter Butt. » C’était mal connaître l’homme ; il y avait malheureusement du désordre dans ses affaires et du décousu dans sa vie privée ; mais il n’était pas à vendre. S’il eut connaissance de cette lettre, il ne dut pas la pardonner.

Voilà donc M. Gladstone qui se réveille tout à la fois en face d’un parti républicain en Angleterre et d’un parti séparatiste en Irlande. Ni l’un ni l’autre, à vrai dire, n’était bien redoutable. Le parti républicain, dans la chambre des communes, se composait de trois hommes, pas un de plus : sir Charles Dilke, le professeur Fawcett et M. Auberon Herbert. Quant au parti du home rule, il venait à peine de se constituer ; son chef, Isaac Butt, après avoir été longtemps en dehors du parlement, y était rentré seulement en 1871 comme député de Limerick. Avec un rare talent de parole, il n’avait pas les qualités de caractère nécessaires pour conduire un grand parti ; il n’avait ni l’activité infatigable d’O’Connell ni la froide résolution qu’a montrée depuis M. Parnell. Avec cela trop d’aventures galantes et trop de bons dîners. Cependant, si Dilke et Butt n’étaient pas des dangers, ils étaient des embarras. Ils ébréchaient, ils écornaient à l’une de ses extrémités le parti libéral, tandis qu’à l’autre extrémité les conservateurs faisaient peu à peu des conquêtes parmi, les whigs de la vieille école, effrayés par les hardiesses réformatrices de Gladstone.

Le premier ministre n’était pas homme à se laisser détourner de ses idées par les résistances, qu’il rencontrait. Il était arrivé au pouvoir avec un programme connu et déterminé. Il voulait l’exécuter jusqu’au bout. Il aborda donc la dernière des trois grandes questions énumérées dans son discours de Wigan. Dès l’ouverture de la session de 1873, M. Forster présenta un bill pour réorganiser l’enseignement en Irlande. Il existait dans ce pays deux universités : la vieille université protestante de Dublin et l’université de la reine, créée par Robert Peel en dehors de tout caractère confessionnel ; en outre, il existait des collèges libres fondés par les catholiques. Le plan de Gladstone et de Forster réunissait tous ces établissemens en une seule université qui devait donner l’instruction aux catholiques comme aux protestans, aux épiscopaux comme aux non-conformistes, s’interdisant l’enseignement des matières sujettes à controverse, c’est-à-dire de la théologie, de la morale et de l’histoire moderne. C’était, comme on le voit, l’idée de Robert Peel développée, agrandie, systématisée. C’était ce que nous appellerions en France la laïcisation de l’enseignement, mais la laïcisation entendue de la manière la plus large et la plus libérale, puisque,