Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais bien la pathologie de la Grèce, et que les fièvres d’Hippocrate étaient les fièvres des pays chauds, causaient le gonflement de la rate et la douleur des flancs, comme l’avait parfaitement observé le médecin de Cos. Cette découverte de M. Littré eut une portée immense ; elle démontra d’une façon irréfutable que ces fièvres de Grèce et d’Algérie, soi-disant inflammatoires, faisaient partie de la grande famille des fièvres paludéennes, et qu’il fallait les traiter par la quinine, comme les médecins anglais le faisaient depuis longtemps dans l’Inde. M. Maillot s’empara avec ardeur de la découverte de M. Littré et lui fit porter fruit auprès de nos pauvres soldats d’Afrique, que les émanations telluriques et la saignée décimaient. L’Algérie n’a pas oublié le grand service que M. Maillot lui a rendu et elle vient de donner son nom à un nouveau village. Voilà certes une conquête de la science au profit de la civilisation que l’histoire de la médecine peut bien revendiquer.

On voit combien est fécond pour le médecin moderne le commerce avec les médecins anciens. Il se fait ainsi contemporain de tous les âges ; il prend connaissance de mille faits qui lui auraient été à jamais inconnus, et ce voyage dans les temps anciens ne lui sert pas moins que ne lui servirait un voyage à travers les continens et les mers. Mais pour faire profiter les siècles présens de l’expérience et des idées des siècles passés, pour vivifier la lettre morte de l’histoire, il ! faut connaître à fond les découvertes de la science moderne. « Alors seulement, nous dit M. Littré, il est temps de se tourner vers, la science passée. Rien ne fortifie plus le jugement que cette comparaison. L’impartialité de l’esprit s’y développe, l’incertitude des systèmes s’y manifeste, l’autorité des faits s’y confirme, et l’on découvre dans l’ensemble un enchaînement philosophique qui est en soi une leçon[1]. »

Cet enchaînement philosophique des découvertes médicales a toujours préoccupé M. Littré. Dans ses études sur Hippocrate, il s’est efforcé de l’établir au début même de la médecine scientifique en détruisant la légende du père de la médecine. Dix ans à peine avant la publication de M. Littré, Double disait encore à l’Académie de médecine « qu’Hippocrate seul, sans antécédens, sans rien avoir emprunté aux siècles qui l’avaient précédé, puisqu’ils n’avaient rien produit, ouvre à l’esprit la route de la vraie médecine. » M. Littré ne peut admettre que la médecine soit sortie toute faite de la tête d’Hippocrate, comme Minerve tout armée du cerveau de Jupiter. Et sans beaucoup de peine il nous démontre qu’il y avait en Grèce des médecins avant Hippocrate, comme il y avait des sculpteurs avant Phidias et des philosophes avant Socrate. C’est dans

  1. Traduction d’Hippocrate, t. I, p. 477.