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dans son pourpoint. C’est bien l’acte étrange d’un halluciné. Mais il faut bien savoir que l’hallucination n’exclut pas le génie. C’est un rêve fait les yeux ouverts ; on voit des objets, on entend des voix, et tout se passe comme dans l’état de veille, sauf la réalité.

Les médecins du moyen âge n’échappèrent pas à l’hallucination. Van Helmont raconte qu’après une fervente prière dans laquelle il demandait à Dieu de l’éclairer, il se vit transformé en une sphère creuse dont le diamètre s’étendait de la terre au ciel ; au-dessus de lui était un sarcophage et au-dessous un abîme de ténèbres. Van Helmont n’hésita pas à interpréter ce songe ; il comprit que le stoïcisme le retiendrait entre l’abîme des enfers et une mort imminente. Tout ce qui est merveilleux l’attire. C’est lui qui croit aux vertus miraculeuses du crapaud, à la génération spontanée des vers, des scorpions, des souris. C’est lui qui nous raconte avec le plus grand sang-froid l’histoire suivante : « Un Bruxellois ayant perdu le nez dans un combat, se rendit chez un chirurgien nommé Tagliacozzi. Ce dernier eut recours, pour le guérir sans difformité, à l’autoplastie et emprunta le lambeau de chair au bras d’un domestique. Le blessé revint chez lui avec son nez d’emprunt. Treize mois plus tard, il fut tout à coup désagréablement surpris en voyant cet organe se refroidir et finir par se putréfier. Qu’était-il arrivé ? Après bien des lamentations et des recherches, on apprit que le domestique au bras duquel le Bruxellois avait emprunté son nez était mort au moment où cet organe s’était refroidi. » De telles histoires, aujourd’hui, ne se trouvent plus que dans les fables, et celle que nous venons de transcrire a inspiré la fantaisie de M. About : le Nez d’un notaire.

L’antiquité et le moyen âge se ressemblent par leur confiance aveugle dans le merveilleux. Là on interrogeait les entrailles des victimes et le vol des oiseaux, ici on cherchait à prévoir l’avenir par des formules ou des réactions cabalistiques. Les sorciers valaient les augures. Ils répandirent également à travers l’Orient et l’Occident cette croyance au surnaturel qui a entravé si longtemps les progrès de la médecine et surtout de la thérapeutique. Quand les médecins essayaient des substances nouvelles, qu’elles produisaient sur les corps des effets dont ils ne pouvaient se rendre compte, quand des phénomènes insolites apparaissaient, ils s’effrayaient et criaient au surnaturel, absolument comme les enfans mettant en jeu des machines dont ils ne soupçonnent pas. les effets et qui s’épouvantent quand ils voient s’agiter des ressorts et se mouvoir des roues qu’ils ne savent pas arrêter.

Mais si la foi dans le merveilleux réunit l’antiquité et le moyen âge, ce dernier fut bien moins tolérant envers les illuminés. C’est qu’à cette époque, nous dit M. Littré en recherchant toujours dans les faits les traces de l’évolution de l’esprit humain, le diable