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pays, dans quel état de l’Orient surtout, n’y a-t-il pas d’abus ? Pour un observateur attentif, ce contrôle n’en était pas moins le meilleur moyen de relever l’Égypte et matériellement et moralement. N’était-ce donc rien que d’apporter aux anciens sujets du prodigue Ismaïl des habitudes d’ordre et d’économie, de donner aux pachas comme aux derniers cheiks des leçons d’honneur, de probité, d’équité ? C’était quelque chose, nous semble-t-il, et beaucoup des antipathies excitées par le contrôle tiennent précisément à cela ; il dérangeait les habitudes indigènes, il déconsidérait les pratiques de l’administration orientale.

On a, non sans raison peut-être, fait un reproche à la France et à l’Angleterre de s’être trop exclusivement occupées des intérêts financiers de leurs nationaux, bien que ce fussent là des intérêts positifs, incontestables, se chiffrant, pour chacun des deux pays, par milliards de francs. On n’a pas assez remarqué qu’en cherchant à introduire en Égypte les procédés de perception et de comptabilité de l’Europe, les puissances occidentales servaient non moins les contribuables indigènes que les créanciers étrangers. Quant à l’Égypte elle-même, envisagée comme état, l’intérêt d’un débiteur n’est-il pas de se libérer et doit-il en vouloir à ceux qui lui en fournissent les moyens ?

Peu de personnes semblent se rendre compte des magnifiques perspectives qu’eût ouvertes à l’Égypte, dans un avenir prochain, le maintien, pour quelques années encore, du contrôle anglo-français. Avec l’amortissement de la dette, avec le progrès économique qui eût infailliblement suivi le rétablissement de l’ordre dans les finances et l’administration, l’Égypte eût retrouvé un crédit sans précèdent en Orient. Avec le crédit, elle aurait possédé une des choses qui manquent le plus aux peuples mahométans : la richesse et les instrumens de travail. Elle eût pu, en moins d’un demi-siècle, doubler aux dépens du désert l’étendue de ses cultures, et, par suite, doubler sa population, doubler ou tripler sa richesse.

Un des reproches les plus souvent adressés au contrôle, c’est le grand nombre d’étrangers, Français, Anglais, Italiens, Européens de toute sorte, appelés à des postes lucratifs dans les administrations égyptiennes, dans les chemins de fer, dans les télégraphes, dans le cadastre, dans les douanes, etc., tous grassement payés, à l’anglaise ou à l’anglo-indienne, aux dépens des finances du khédive ; 174 Anglais touchaient en appointemens 6,968 livres égyptiennes, 326 Français touchaient 9,812 livres[1]. Il a pu y avoir excès dans le chiffre de quelques traitemens ou dans le nombre des Européens transformés en fonctionnaires égyptiens. Mais était-ce là uniquement, entre les Anglais et les

  1. La livre égyptienne vaut près de 26 francs.