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ce n’est guère pour eux qu’une sorte de travestissement ; ils ont beau s’habiller plus ou moins à l’européenne, dans la rue publique comme dans la vie privée, il n’y a que les dehors de changés.

Faut-il rappeler ce qu’est devenue aux mains du sultan la fameuse constitution de Midnat, dès que la Porte n’a plus eu besoin d’en imposer à la crédulité de l’Occident ? Il y a des gens pour lesquels le despotisme est aussi naturel à l’Orient que le soleil et le palmier. Si différens que Turcs et Arabes soient de nous, par l’origine, par la religion, par tous les élémens de la civilisation, nous n’oserions, pour notre part, les condamner à l’absolutisme à perpétuité. Les nations, à cet égard, ont plus d’une fois donné à leurs contemporains d’heureux démentis. L’Italie, la terre des morts du poète, en est une preuve vivante, mais, n’en déplaise à nos voisins des Alpes, l’Égypte n’est point l’Italie, pas plus qu’Arabi n’est un Garibaldi ou un Manin. Il faudra du temps à la liberté politique pour s’acclimater dans le limon du Nil, et si jamais elle s’y enracine, il est douteux qu’elle y soit semée par la main des colonels.

Le véritable obstacle à l’établissement du régime constitutionnel au Caire, ce n’est pas le contrôle anglo-français, qui, après tout, eût pu lui faire sa part ; ce sont les traditions de l’islam et les mœurs de la vieille Égypte, ce sont les cinquante siècles de despotisme qui pèsent sur le fellah, c’est la courbache qui règne en souveraine du delta aux cataractes. On l’a dit à la tribune, ce n’est pas dans ses hypogées que l’Égypte peut retrouver les principes de 89 ; veut-elle se les approprier, il lui faut se mettre à l’école de l’Europe, se laver des vices invétérés de l’administration orientale, se pénétrer des notions d’ordre et de justice sans lesquelles toute liberté ne serait qu’un mensonge et toute constitution une parodie.

Cette initiation, l’Égypte ne peut la faire que sous la tutelle de l’étranger, et si pareille tutelle et toujours pénible, il était difficile de lui trouver une forme moins inquiétante que le contrôle anglo-français. En pareil cas, deux précepteurs, valent mieux qu’un. Par sa situation et sa faiblesse, l’Égypte est exposée à tomes les convoitises musulmanes ou chrétiennes ; c’était pour elle une garantie que de ne pas subir l’influence exclusive d’une seule puissance. En s’attaquant au contrôle anglo-français, Arabi n’a pas seulement fait reculer l’Égypte d’au moins un quart de siècle, il en a compromis l’existence nationale ; il l’a placée dans l’alternative de devenir un pachalik turc ou une colonie anglaise.

Contre ce double péril, la présence de la France était pour l’Égypte, aussi bien que pour l’Europe, la meilleure assurance. La conférence a montré combien il était difficile de rien substituer au contrôle anglo-français ; elle a fait voir en même temps combien étaient frivoles les