Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 52.djvu/784

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont pas les mêmes qu’en Irlande. Le paysan ne convoite-pas la propriété du sol ; il n’est pas l’ennemi du landlord. Tous deux sont de la même race ; ils ont la même foi et les mêmes mœurs. L’un est riche et l’autre est pauvre, c’est vrai. Mais encore le pauvre est-il moins pauvre qu’en Irlande, mais encore le pauvre a-t-il la possibilité d’améliorer sa situation autrement qu’en s’emparant de la terre du landlord. Le commerce et l’industrie sont là pour utiliser les bras inoccupés. Enfin le paysan d’Angleterre ne se dit pas chaque jour, comme celui d’Irlande, que ses pères ont été propriétaires du sol et qu’ils en ont été chassés, dépossédés, spoliés par les ancêtres du landlord.

En France, tandis que la guerre sociale gronde dans les villes, elle n’a pas fait son apparition dans les campagnes. Pourquoi ? Parce que nous avons cinq millions de paysans propriétaires. Pas de préoccupations de ce côté, tant que le paysan possédera son champ, tant que le champ nourrira son maître. Ces deux conditions réunies sont notre salut ; tâchez de les réaliser en Irlande. L’Irlandais comme le Français, le Celte insulaire comme le Celte continental, convoite la terre ; il veut avoir son champ. Aidez-le à satisfaire sa passion, cela vous coûtera moins cher que de la combattre. La terre que vous avez ôtée à la tribu pour la donner au landlord, rachetez-la maintenant au landlord pour la revendre au paysan. La propriété en Irlande aura ainsi parcouru le cycle complet de ses transformations ; elle aura passé par ses trois états successifs : la propriété collective, la propriété féodale, la propriété individuelle, autrement dit : la terre à la tribu, la terre au seigneur et enfin la terre au paysan.


Édouard Hervé.