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les ténèbres, qui perdent leur peine et leur temps à essayer de résoudre des problèmes insolubles[1].

Je suis, je l’avoue, du côté des curieux. Leur obstination, quoiqu’elle n’ait pas été toujours heureuse, ne me paraît pas ridicule. Je comprends qu’on se résigne difficilement à ignorer le passé d’un peuple qui a tenu une place importante parmi les nations antiques. Quand je vois, dans un musée, les beaux ouvrages qui nous restent des Étrusques, je suis saisi d’un désir ardent de savoir ce qu’étaient ceux qui les ont faits. Je ne puis passer avec indifférence auprès de ces grandes statues de pierre ou de terre cuite, étendues sur leurs sarcophages et appuyées sur le coude, qui semblent regarder les visiteurs. Elles sont si vraies, si vivantes que j’ai toujours envie de m’arrêter devant elles, de les interroger sur leur histoire et de leur demander leur secret.

Si ce secret a été si bien gardé, s’il est si difficile de connaître ce peuple étrange et obscur, ce n’est pas que, comme tant d’autres, il ait disparu tout entier. Il y en a fort peu, au contraire, dont il reste autant de souvenirs. Ce qu’on a tiré depuis trois siècles de ses nécropoles est incroyable ; les musées du monde entier sont remplis de ses dépouilles ; il les a tous fournis d’objets précieux de toute sorte, et la moisson est loin d’être épuisée ! Le Louvre possédait déjà beaucoup de vases peints qu’il tenait des libéralités de Caylus, de Forbin et d’autres amateurs éclairés, de l’acquisition des cabinets de MM. Durand et Tôchon, et il pouvait passer pour un des musées les plus riches en antiquités étrusques, lorsqu’en 1862, par l’intermédiaire de M. Léon Renier, l’état acquit la collection Campana, qui fit plus que doubler ses richesses. Elle contenait des vases, des peintures, des bijoux de la plus grande valeur et un ensemble merveilleux de terres cuites qui provenaient en général de la Campanie et de l’Étrurie. Rien qu’avec ce qu’on avait trouvé dans les tombes de l’antique Cœre, on a rempli trois grandes salles. On peut donc, sans sortir de Paris, en visitant les galeries du Louvre, se faire quelque idée de cette civilisation si mal connue. C’est un voyage qui est à la portée de tout le monde et dont tout le monde tirera beaucoup de profit.

Il est sûr pourtant qu’il vaut mieux aller voir les Étrusques chez eux et que c’est le meilleur moyen de les étudier. Ces mille objets

  1. M. Mommsen est un de ces railleurs et des plus impitoyables. Au début de son Histoire romaine, il plaisante les gens qui entassent les hypothèses à propos des Étrusques et de leur origine. « Les archéologues, dit-il, ont la manie de chercher avec passion ce qu’on ne pout savoir et ce qui ne vaut pas la peine d’être connu. » Puis il les compare à ces sots grammairiens de l’antiquité à qui Tibère demandait, pour se moquer d’eux, « qui fut la mère d’Hécube ! »