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divinité de celui qu’il prie,[1], * Les peuples jeunes admettent volontiers que l’homme qui meurt se débarrasse des conditions de l’humanité et devient un être supérieur. La voilà presque un dieu (Dii Manes), et sa divinité s’achève si on lui rend les honneurs qu’on accorde aux immortels. Il est aisé, de comprendre que, puisque les jeux avaient cette importance, on ait tenu à en garder le souvenir, on en ait fait peindre l’image dans la tombe de celui qui en avait été-honoré : c’était une façon d’affirmer son apothéose.

On a, de nos jours, imaginé une explication nouvelle : ces festins, ces jeux, nous dit-on, ne sont pas, comme on le pensait, la représentation des honneurs rendus au défunt, mais, une image de la félicité dont il jouit dans l’autre monde. On avait mis la scène sur la terre ; pour la comprendre, il faut la transporter au ciel. M. Ravaisson, chez nous, a soutenu cette opinion avec une grande force. A propos d’un bas-relief découvert récemment à Athènes, et où l’on voit une jeune femme qui tend la main à des vieillards, il fait remarquer que nous possédons beaucoup de représentations semblables, et que jusqu’ici les antiquaires, croyant saisir sur la figure des personnages un air de tristesse, y ont vu des scènes d’adieu ou de séparation. M. Ravaisson fait remarquer que, dans le monument qu’il étudie, les vieillards et la jeune femme, loin de s’éloigner les uns des autres, sont en marche pour se rapprocher ; et, comme à côté de la femme figure Hermès, le dieu conducteur des âmes, qui l’amène vers les siens, il pense que le lieu dans lequel ils se retrouvent est la séjour même des âmes heureuses. Puis, étendant à tous les monumens de ce genre l’explication qu’il vient de donner de celui d’Athènes, il propose de les appeler non plus « des scènes d’adieu », mais « des scènes de réunion[2]. » Ils lui semblent une affirmation nouvelle de la croyance des anciens à la persistance de la vie, une satisfaction donnée à cette énergique espérance qui ne veut pas admettre d’éternelle séparation. Il en prend occasion pour s’élever contre la doctrine de Lobeck, qui prétend que les Grecs, satisfaits, de la vie présente, étaient restés longtemps étrangers à toute, préoccupation sérieuse d’une vie à venir, et qu’ils

  1. C’est ce que Stace me paraît exprimer dans sa Thébaïde d’une manière très précise : il représente une nymphe qui, à force de rendre des hommages à un chêne, en a fait une sorte de puissance divine : Numenque colendo fecerat.
  2. Le mémoire de M. Ravaisson été publié dans la Gazette archéologique en 1875. Ses conclusions ne peuvent pas évidemment s’appliquer à tous les bas-reliefs, sans exception, et il y en a où il est bien difficile de voir des « scènes de réunion. » Ceux dont parle M. Brünn dans les Annales de l’Institut de correspondance archéologique, dans lesquels, à côté des deux époux qui se serrent la main, les démons attendent le mort pour l’acheminer vers une porte ouverte, sont bien de véritables « scènes d’adieu. »