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probablement les âmes des morts vulgaires, dont Virgile nous dit qu’elles se pressent sur les bords du Styx plus nombreuses que les troupes d’oiseaux qui se rassemblent pour fuir les premiers froids de l’hiver ou que les feuilles des arbres quand les vents de l’automne les sèment par les chemins. A la suite de ces figures, il y en avait sans doute beaucoup d’autres qui représentaient les principaux habitans du Tartare ; on ne distingue plus aujourd’hui que celle de Thésée. Il regarde tristement un personnage dont les traits sont fort effacés et qui doit être son ami Pirithoüs. Tous deux avaient formé le projet d’enlever Proserpine et ils expient cruellement leur crime dans les enfers. Un démon à l’aspect horrible, qui s’appelle Tuchulcha (l’artiste a pris soin de nous apprendre son nom), agite sur leur tête un serpent furieux. Sa bouche, ou plutôt son bec d’oiseau, est largement ouvert, comme pour pousser d’affreux hurlemens. Peut-être profère-t-il le cri vengeur que Virgile fait retentir dans les enfers autour de Thésée :

: Discite justitiam moniti et non temnere divos !


Au milieu de tous ces tableaux du Tartare se trouve, on ne sait pourquoi, une scène presque comique empruntée à l’Odyssée. Elle représente Ulysse qui crève l’œil du cyclope. C’est une peinture beaucoup moins soignée que le reste et qui est traitée comme une charge. Le cyclope surtout, avec ses grandes oreilles dressées et sa face gigantesque, ressemble tout à fait à une caricature. Il est difficile de voir ce que viennent faire ici les aventures d’Ulysse et de Polyphème et la raison qu’on pouvait avoir de les représenter dans un tombeau.

La décoration de la tomba del Orco est donc à peu près toute grecque. L’artiste qui peignit sur ces murs Pluton et Proserpine, Tirésias et Thésée, imitait sans doute quelque œuvre connue et admirée chez les Grecs, comme celle dont Polygnote orna le célèbre portique de Delphes. Il y a cependant un personnage, dans la fresque de Corneto, qui paraît appartenir particulièrement à l’Étrurie ; c’est celui qui porte le nom de Charun. On l’y retrouve plusieurs fois et toujours représenté avec une sorte de complaisance. Charun est un démon sur lequel l’imagination populaire semble avoir accumulé tout ce qui pouvait rendre un habitant des enfers à la fois repoussant et redoutable. Sa chair est verte, sa bouche immense et munie de dents menaçantes, son nez recourbé comme un bec de vautour. Il a de grandes ailes au dos et tient un double marteau dans la main. Quoique cette figure paraisse tout à fait étrangère à l’art grec, M. Helbig fait remarquer que les Étrusques l’ont empruntée à la Grèce. Le nom de Charun indique l’origine du