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campagnes et de notre pays si calomnié, ces excellentes ménagères ! En est-il en Allemagne ou en Angleterre qui pourraient se vanter de valoir mieux ? C’est grâce à elles que la ferme flamande, et j’étends aussi l’éloge à la plupart des demeures dans ces rurales régions, est restée à l’intérieur fidèle à sa propreté proverbiale. Il n’est pas jusqu’au roman qui n’ait décrit, célébré cet esprit d’ordre, cette vaisselle nombreuse, ces cuivres brillans. Dans la grande ferme, quelque zélée servante, élevée dans ces traditions, se charge de ces soins minutieux et incessans. Dans les moyennes et surtout dans les petites, c’est la maîtresse de maison elle-même qui les prend à cœur. Frotter avec du grès la pelle, la pincette, la crémaillière, voilà une de ses fonctions importantes ! Chaque samedi, la maison du plus humble cultivateur est ainsi nettoyée et frottée. La femme romaine filait, la femme flamande balaie et frotte. Elle y met son honneur. La plus légère tache, la moindre poussière serait opprobre à ses yeux et devant les autres femmes. La propreté ainsi entendue finit presque par être une vertu, au sens où l’ont dit certains moralistes. Ces ustensiles, si bien tenus et si bien rangés, plaisent à l’œil et, pourquoi hésiterait-on à le dire ? à l’esprit. Un Grec qui savait ce que c’est qu’un ménage rural et mieux encore ce qu’est la beauté, Xénophon, trouve belles cette tenue de la ferme et jusqu’à ces potiches propres et luisantes ; il déclare belle l’image de l’ordre répandue sur tous ces humbles détails. On a le droit de citer ces descriptions antiques en contemplant ces intérieurs de fermes. On se reporte aussi sur ces tableaux flamands qui n’eurent pour se faire goûter qu’à en reproduire les modestes splendeurs.

Sera-t-il permis de le dire en passant ? nous n’avons pas aperçu sans un peu de mélancolie, indigne peut-être d’un économiste, le vieux rouet qui se cachait délaissé dans le coin obscur de quelqu’une de ces fermes de la Flandre. Que n’a-t-on pas dit des pauvres femmes des Flandres dépossédées par la mécanique ! Ces plaintes douloureuses regardaient surtout la Belgique, mais elles nous concernaient aussi. L’opération pouvait être nécessaire, mais qu’elle a été cruelle ! Ce fut en peu d’années comme une destitution brutale du travail à la main, seule ressource de milliers de pauvres ouvrières, et, pour d’autres, accessoire du moins d’une certaine importance. Le rouet tirait son prix d’autres considérations. Lorsque, dans ces fermes, le regard tombe sur quelqu’un de ces métiers méprisés et honnis, comment ne pas se dire tout bas qu’après tout le pauvre engin avait pendant des siècles représenté une des faces de l’existence de la femme rurale ? Quand le labourage et les semailles étaient finis, et que les garçons s’occupaient à soigner le bétail à l’étable, les femmes reprenaient aussi les ouvrages