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en ce moment, est une bande de terre craquelée au soleil, rugueuse, pleine de fondrières. Les baudets qui nous y attendent buttent, glissent dans ce désagréable trajet, qui dure vingt minutes et nous mène au second bras du Nil. Ici nous trouvons un gros bateau pesant, délabré, sorte de bac plus que primitif. En guise d’embarcadère, quelques brassées de roseaux jetées au fond de l’eau, le bac ne pouvant approcher de la rive. Pas une planche pour aborder. Les baudets que nous quittons sont fouettés, piqués. Ils entrent dans l’eau, puis, enjambant le bord du bateau, y restent pendus. On tire devant, on pousse derrière ; quelques-uns résistent ; enfin tous sont logés et, patientes petites bêtes, ne bougent plus. A notre tour. La plate-forme de verdure nage dans l’eau. Nous hésitons devant ce bain de pieds ; nos braves donkey-boys, nous prenant à bras-le-corps, nous enlèvent comme des plumes et nous déposent à côté des baudets. Notre Caron n’a qu’une rame. Heureusement que le Styx est calme et sans courant, car nous sommes vingt-deux à bord, une foule d’Arabes qui nous escortent, et huit bêtes. L’autre rive est un haut talus de poussière, avec des marches taillées dans la boue sèche. On fait débarquer les ânes, toujours sans planche. Nous remontons et suivons pendant une demi-heure la chaussée étroite et périlleuse qui côtoie le Nil. La matinée est encore très fraîche, l’air un peu vif, les ombres presque dures, la vue splendide. Entre nous et la belle chaîne rocheuse de l’Assasif s’étend la grande plaine, d’une lieue de large, cultivée avec soin. Champs de trèfle, d’avoine, de blé et surtout de ces délicieuses fèves en fleur.

Nous quittons enfin la chaussée, et traversant l’océan de verdure, nous nous engageons dans un défilé de la montagne absolument sauvage : du sable, des roches rouges amoncelées les unes sur les autres en masses étranges. Le soleil ardent de midi tombe d’aplomb, la chaleur est lourde, pas une parcelle d’ombre. Impossible de concevoir une route plus sévère, plus grandiose, pour conduire à leurs dernières demeures les Pharaons des grandes dynasties. C’est par ce chemin crayeux dont l’éclat nous aveugle que défilaient les longues processions portant les cercueils des Ramsès, des Séti, dont les noms nous deviennent familiers. Le défilé se resserre, les murailles de rochers deviennent plus hautes, la chaleur nous fait paraître la route longue et pénible. A droite, un ravin s’ouvre dans le flanc du rocher. C’est la vallée de l’ouest, qui renferme aussi des tombes illustres. Enfin la route finit brusquement. Nous sommes à l’extrémité de la gorge. Des rochers éboulés, des parois inaccessibles nous arrêtent. Nous quittons nos montures. Ici, loin de toute vie, car il ne pousse pas. un brio d’herbe dans cette vallée de désolation, les rois de Thèbes avaient choisi leur