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le beau fronton d’un temple ruiné, des colonnes, et, ruminant, les naseaux en l’air, un énorme buffle auquel ce portique des Pharaons sert d’étable. Nous suivons le fellah, qui nous mène dans son habitation, un hangar recouvert de feuilles de cannes. A côté, le harem dont mes compagnons ne doivent pas approcher, Lady G… et moi entrons sous un toit percé, où autour d’un panier en paille de dattier rempli de braies, cinq ou six fellahines en haillons, des enfans sur leurs épaules, sont assises. L’odeur et la fumée sont nauséabondes. Elles crient : Bakchich ! toutes à la fois : une piastre les satisfait et nous fuyons cette tanière infecte.


Mercredi, 25 janvier.

Nous avons fait nos adieux à la plaine de Thèbes. Aujourd’hui notre excursion a été plus courte, se concentrant sur Medinet-Abou, Versailles des Toutmés et de leur sœur la régente Hatasou, et quatre siècles plus tard de Ramsès III. Comme dans tous ces vastes groupes de ruines, le plan est tout d’abord insaisissable, et on est longtemps à démêler le petit temple de Toutmés, le grand et magnifique temple de Ramsès III, et son pavillon royal, la véritable merveille de cette accumulation d’édifices. Au-delà d’un haut portail et de pylônes en ruines, nous entrons dans une suite de vastes cours. La première est ornée sur deux côtés d’une galerie soutenue par des cariatides gigantesques représentant le roi. Puis s’élève un énorme pylône, couvert de grands tableaux de guerre, racontant les exploits du conquérant. Enfin la seconde cour, grandiose de proportions, ravissante de couleur et de peintures décoratives et où revivent, sculptés sur les parois, les victoires, les fêtes et les processions du couronnement du héros. Les plafonds des galeries sont intacts et peints d’azur constellé d’étoiles ou d’emblèmes dont la couleur, parcourant la gamme du cobalt pur au vert émeraude, est fraîche comme appliquée d’hier. Malheureusement, la terre éboulée et les gravais remplissent encore une des galeries. Mais quels vigoureux et vivans tableaux de bataille ! un peu barbares, là où les scribes inscrivent les tas de mains et de langues coupées, — chaque tas de trois mille ! — Quelle fierté dans cette tournure du Pharaon, lorsque, debout sur son char élégant, dont les chevaux superbes se cabrent avec fougue, il lance ses flèches contre l’ennemi ! Avec quel soin il fit travailler à son apothéose, n’omettant aucun détail humain ou sacré qui pût être à sa gloire. Aussi bien, ce fut en quelque sorte le chant de cygne. Après lui, la fortune du pays s’obscurcit, et pendant neuf siècles les arts n’eurent plus de place et disparurent. C’est la fin de la grande et belle époque, et nous ne devons plus voir à Dendérah que l’épanouissement de la