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ses propositions. Il a plus ou moins livré ou laissé mettre en doute la magistrature, l’armée, l’administration, les lois religieuses, et de cette série d’expériences, aggravées de jour en jour, qu’est-il résulté ? Tout a été compromis, et les ministères, les hommes eux-mêmes, se sont usés à l’œuvre sans profit et sans honneur. M. Clemenceau, en signifiant l’autre jour ses défiances au nouveau cabinet, disait avec une certaine franchise : « La république a soulevé dans ce pays depuis dix ans toutes les questions politiques et sociales ; toutes les réformes ont été abordées, aucune n’a été réalisée. Cette situation ne peut pas durer davantage ; le moment est venu d’aboutir. »

Oh ! sûrement, la république, depuis qu’elle est exclusivement aux mains des républicains, a abordé bien des problèmes qu’elle n’a pas, résolus. Elle s’est flattée de réaliser toute sorte de réformes, de se donner un gouvernement, et si elle n’a que médiocrement réussi, l’explication est plus simple que ne paraît le croire M. Clemenceau : c’est qu’on n’accomplit pas des réformes sérieuses avec des fantaisies de secte et on ne crée pas un gouvernement avec tout ce qui peut désorganiser un pays. On s’épuisera vainement à « concilier des groupes, n à rassembler des médiocrités bruyantes ou à essayer de dégager une politique d’une majorité qui a plus de passions que d’idées ; avec tout cela, on n’arrive qu’à cet état d’impuissance où les ministères se succèdent sans durée et sans autorité. « Le moment est venu d’aboutir, » assure M. Clemenceau ; c’est vrai, et l’alternative qui s’offre aujourd’hui à M. le président du conseil est des plus claires. Le moment est venu de savoir si l’on veut aller jusqu’au bout de la décomposition ou si l’on peut tenter un effort sérieux pour replacer la république dans des conditions telles qu’elle puisse avoir un vrai gouvernement capable de sauvegarder les intérêts intérieurs et extérieurs du pays.

Ce qu’il y a, en effet, de grave dans ces crises qui se succèdent, qui s’enchaînent par une sorte de fatalité, c’est qu’en dévoilant de singulières faiblesses intérieures, nées d’une série de déviations, elles ont pour résultat inévitable et immédiat une réelle impuissance dans les affaires extérieures. Le vote du 29 juillet, qui crée une situation nouvelle, est très explicable sans doute ; il avait été préparé par tout un système d’ambiguïtés, par l’incurable indécision d’un ministre qui, trois mois durant, avait flotté entre toutes les résolutions, entre toutes les tentations, pour finir par proposer une intervention qui n’était pas une intervention et qui pouvait en avoir tous les inconvéniens, Qu’on se rende compte cependant de l’effet de ce vote dans un moment où les événemens étaient déjà engagés en Égypte et où une conférence européenne était en pleine délibération à Constantinople, Quel rôle avaient désormais à jouer les quelques navires envoyés par nous dans les eaux égyptiennes ? Ils n’avaient plus rien à faire, et