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passionnées, et précisément parce qu’elles sont passionnées, de tout confondre, de voir souvent des ennemis de la France même parmi ceux qui ont été toujours pour elle des amis sincères. Certes, s’il est un homme, un diplomate qui ait laissé de bons et aimables souvenirs parmi nous, c’est M. Nigra, qui a si longtemps représenté l’Italie à Paris et dont le nom a été mêlé récemment, on ne sait pourquoi, à ces guerres de plume. Que M. Nigra, dans sa longue mission, ait toujours servi, défendu fidèlement les intérêts de l’Italie et de son souverain, cela n’est point douteux, et c’est son honneur ; il les a défendus et servis avec la pensée que les intérêts des deux pays s’accordaient, que l’alliance entre les deux nations était naturelle. Non, M. Nigra n’a point eu à s’occuper pendant la guerre d’un traité ou de négociations dont la France aurait eu à se plaindre. Non, à aucun moment, à aucun degré, il n’a été mêlé aux menées séparatistes qui ont pu se produire à Nice, Il n’a pris part dans sa carrière qu’à un seul acte, celui qui avait pour but et qui a eu pour résultat la cession de Nice et de la Savoie à la France. Associé dès sa jeunesse à la politique du plus grand des Italiens, il n’a depuis participé ni adhéré à une agitation quelconque qui aurait tendu à la rétrocession de Nice, à la destruction de l’œuvre de Cavour, et, en cela, il était d’intelligence avec son ministre, M. Visconti-Venosta, qui avait les mêmes idées. Ce que savent ceux qui sont au courant de la vie diplomatique, c’est que, depuis 1871, dans des momens difficiles, — et il y en a eu même sous M. Thiers, — M. Nigra, par son tact, par son habileté, par sa connaissance des choses et des hommes, a rendu d’éminens services à la cause de l’alliance. Ce qui est vrai, c’est que, s’il eût été à Paris au moment des affaires de Tunis, il eût peut-être réussi à détourner ou à atténuer bien des froissemens, et que, s’il y a un homme fait pour raviver l’ancienne alliance, pour aider au rapprochement des deux pays, c’est encore M. Nigra. A quoi tendent toutes ces polémiques ? Croit-on par hasard que la France ait trop d’amis dans le monde et qu’il soit bien utile pour elle d’oublier ou de méconnaître ceux qui lui ont toujours témoigné des sympathies ?


CH. DE MAZADE.