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que, dans les partages, il y ait pour chaque lot une égale quantité de biens meubles et de biens immeubles ? Ces vœux et d’autres ont été consignés déjà pour ces régions dans l’enquête agricole de 1867. Une bonne législation est encore à faire. En attendant, il s’en faut que les parties intéressées profitent toujours des moyens d’échapper au morcellement extrême que fournit l’état actuel de la législation.

La classe des moyens propriétaires mérite en Picardie, en Artois et en Flandre des louanges qu’on serait parfois embarrassé de lui adresser au même degré dans d’autres régions. Qui dit classe moyenne semble volontiers supposer un ensemble de qualités qui s’éloignent des extrêmes, et ce mot implique presque toujours des éloges. Je crains bien qu’en bon nombre de régions la propriété moyenne n’ait plutôt à certains égards les défauts des deux autres : dépensière comme la grande, sans avoir ses capitaux, besogneuse comme la petite et manquant d’avances, sans avoir son ressort moral et son assiduité laborieuse. En maintes localités, elle forme la clientèle la plus habituelle des cafés ; elle y consomme plus que de raison son temps et son argent ; chez elle, elle se donne tout le luxe qu’elle peut. Si ce n’est pas un tableau qui soit vrai de la grande masse des moyens propriétaires, une minorité trop nombreuse le justifie. Il n’en est guère ainsi dans les provinces objet de cette étude. Nulle part la moyenne propriété ne forme une élite plus nombreuse et qui réunisse mieux, dans la limite de ses facultés, les qualités qu’elle semble emprunter aux deux autres. Elle ne saurait avoir sans doute la parcimonie du paysan de race, étant souvent, le plus souvent peut-être, composée de bourgeois des villes. La grande majorité des moyens propriétaires fait valoir elle-même, ce qui n’est pas aussi général ailleurs qu’on pourrait le croire. Dans ces régions, la supériorité qu’on peut attribuer à la propriété moyenne paraît tenir en partie à ce que les acheteurs des moyens domaines sont souvent ou d’anciens fermiers ou des hommes de loi qui s’occupent de leurs terres, même lorsqu’ils les afferment ; mais ils passent souvent la plus grande partie de leur temps à donner à leur faire-valoir des soins exclusifs. Les moyens propriétaires forment le noyau des sociétés d’agriculture, si actives en même temps que si répandues ; ils se mettent en mouvement pour obtenir routes et chemins de fer ; en un mot, ils montrent beaucoup plus d’initiative que la moyenne propriété n’en a d’ordinaire. Une propriété moyenne, éclairée, morale, est un grand bienfait pour un pays. Ces départemens du Nord et du Nord-Ouest doivent à la présence active d’un tel élément une notable partie de leurs progrès ; c’est un résultat important pour le rôle économique et social que peut jouer la propriété moyenne et d’un bon exemple pour le reste de la France.

À l’égard de la classe des grands propriétaires dans les mêmes