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II.

La révolution de 1688 semblait devoir satisfaire lady Churchill ; ses idées triomphaient ; son mari, pour prix de ses services, était fait comte de Marlborough, conseiller privé, gentilhomme de la chambre du roi ; mais la bonne intelligence entre les deux royales sœurs ne devait pas durer longtemps, et la favorite de l’une ne pouvait éviter le mécontentement de l’autre. La reine Mary, avec des qualités sérieuses et même aimables pour le public, des vertus de femme et de reine qui la rendirent populaire, manquait absolument de cœur. Mauvaise fille, elle fut mauvaise sœur. Au lieu de savoir gré à la princesse Anne de sa renonciation au trône, elle se méfia d’elle et voulut la tenir dans sa dépendance. Anne trouvait que son sacrifice valait bien un dédommagement pécuniaire, mais, connaissant le caractère despotique de Guillaume et la soumission conjugale de Mary, elle désira ne dépendre que du parlement et faire voter son revenu par les communes ; des discussions irritantes eurent lieu. Un soir, la reine fit une véritable scène à sa sœur : « Que signifie tout cela ? lui dit-elle. — Cela signifie que mes amis s’occupent de faire régulariser ma situation. — Eh ! je vous prie, Madame, quels autres amis que le roi et moi pouvez-vous avoir ! » — Je n’avais pas, ce soir-là, l’honneur de suivre la princesse, ajoute lady Marlborough ; mais, en rentrant, elle me conta tout et jamais je ne la vis si en colère. On espéra la faire céder par l’influence de la comtesse, et tous les moyens, — flatterie, promesses, intimidation, menaces de disgracier son mari, — furent employés près d’elle sans le moindre succès. « Tout cela et bien d’autres choses encore, dit-elle, loin de me disposer à faire ce qu’on me demandait, ne firent qu’augmenter mon zèle pour les intérêts de la princesse. J’aurais mieux aimé mourir que de les sacrifier et de laisser croire qu’on m’avait achetée ou effrayée. » Enfin, la cause fut gagnée. Le parlement vota 50,000 livres (1,250,000 francs) de revenu. Anne, très reconnaissante à son amie, lui écrivit peu après : « J’ai, depuis quelque temps, quelque chose à vous dire et je ne sais comment m’y prendre. Je veux vous prier d’accepter une pension de 1,000 livres (25,000 fr.) comme preuve de mon amitié, mais à la condition de ne m’en parler jamais, car je serais honteuse de voir donner de l’importance à si peu de chose par une personne qui mérite plus que je ne pourrai jamais lui rendre. »

Lord et lady Marlborough n’étaient pas riches alors et les enfans étaient venus ; néanmoins, ils n’acceptèrent qu’après avoir consulté