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duchesse en profita pour entourer la reine de ses amis politiques, si bien que l’Angleterre, disait-on, appartenait à une seule famille, Malheureusement, lady Marlborough avait, sans le savoir, introduit Elle-même des ennemis dans la place. Le plus dangereux, celui qui devait être l’ouvrier de sa ruine, était le secrétaire d’état Harley, plus tard comte d’Oxford, « le plus perfide des aventuriers politiques, » a dit un historien, mais le plus insinuant, le plus adroit, le mieux servi par son esprit, ses talens, sa faculté de plaire. Profondément ambitieux et dissimulé, il avait trompé Marlborough et Godolphin qui, croyant voir en lui un caractère modéré, conciliant comme le leur, avaient ajouté foi à ses protestations de dévoûment et l’avaient fait entrer dans le ministère. La duchesse, plus fine, ne s’était pas trompée longtemps sur son véritable caractère, et sa terrible franchise le lui avait imprudemment laissé voir. Il s’aperçut vite de la fatigue que causaient à la reine les exigences, les remontrances de sa grande-maîtresse ; il comprit sans peine le parti qu’on pouvait en tirer, et chercha un auxiliaire dans l’entourage immédiat de la souveraine. Ce fut la duchesse qui le lui fournit. Ici nous ne saurions mieux faire que de lui laisser la parole.

« Une personne de ma connaissance vint un jour me voir et me dit : « Vous ignorez, j’en suis sûre, que vous avez des parens dans le besoin, » et elle me parla de la famille Hill. Je lui répondis que je n’en avais jamais entendu parler. Mon grand-père, sir John Jennings, avait eu vingt-deux enfans, de sorte que sa fortune d’environ 100,000 livres avait été émiettée en petits fragmens. Une sœur de mon père avait épousé un M. Hill, négociant dans la cité, qui s’était ruiné ; mais tout cela s’était passé avant ma naissance et je l’ignorais jusqu’à la visite en question. Je donnai 10 guinées à mon amie, comme secours immédiat, promettant de m’occuper d’eux. Je vins en aide à Mrs Hill, et lorsqu’elle mourut, laissant quatre enfans, je pris la fille aînée, Abigaïl, déjà une grande personne, chez moi, et elle vécut à Saint-Albans avec mes enfans, traitée comme si elle eût été ma sœur. C’était avant l’avènement de la reine. Une de ses femmes de chambre vint à mourir et j’obtins qu’Abigaïl la remplacerait. Je plaçai l’autre sœur chez le jeune duc de Glocester, avec une pension de 200 livres (5,000 francs). Je fis entrer le frère aîné dans les douanes, avec un cautionnement de 2,000 livres (50,000 francs) ; je mis le plus jeune en pension, puis le fis nommer page du prince de Danemark, et plus tard, malgré la répugnance de mylord Marlborough, qui disait, avec raison, comme la suite le prouva, que Jack Hill ne valait rien, le duc consentit, pour m’obliger, à en faire son aide de camp. M. Masham, qui épousa Abigaïl, me dut d’être nommé page, puis gentilhomme