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comme nos alliés, que la sécurité et l’indépendance de l’Europe ne seraient pas suffisamment sauvegardées par les conditions de paix que l’on propose. »

Sa perte était résolue ; l’ancienne amitié de la reine s’était changée en haine. Le ministère, battu dans la chambre haute, se refit une majorité, en créant douze nouveaux pairs, et l’homme qui venait de donner à l’Angleterre dix années de gloire et de grandeur fut contraint de venir défendre son honneur et discuter les dépenses faites pour le service du pays, comme un vulgaire malfaiteur. La reine, afin que l’investigation pût être impartiale, commença par enlever au général en chef toutes ses charges et tous ses emplois. Il se défendit victorieusement et montra un calme, une résignation, une dignité qui produisirent une réaction immédiate en sa faveur. L’indignation populaire fut grande ; quant à ses soldats dont il avait, prétendait-on, volé le pain, il était adoré d’eux. On voit dans sa correspondance combien il était toujours préoccupé de leur bien-être, combien il souffrait lorsqu’il fallait se résoudre à une action sanglante. Son ami le prince Eugène, venu à Londres pour défendre les intérêts des alliés, exprima hautement le dégoût que lui inspirait « cette politique d’intrigue et de haine. » Comme Harley, un jour, dans un banquet, lui exprimait sa joie de voir chez un le plus grand capitaine du siècle, le prince répondit, faisant allusion à la disgrâce de Marlborough « S’il en est ainsi, c’est grâce à vous, mylord. » Quelques mois après, abandonné par l’armée anglaise, d’après les ordres secrets du ministère, le prince Eugène était battu à Denain.

Marlborough, libre enfin de prendre ce repos auquel il aspirait depuis si longtemps, accepta la situation qui lui était faite avec la douceur de sa nature et la force d’âme d’un vrai chrétien. Les pamphlets contre lui, la duchesse et les amis qui leur restaient fidèles, continuèrent leurs attaques avec une violence que Bolingbroke lui-même blâma sévèrement. Un des nouveaux partis parla du duc, en pleine chambre, dans des termes si offensans, que Marlborough, malgré sa patience habituelle, voulut se battre et ne céda qu’à un ordre exprès de la reine. Enfin, écœuré, affligé de la mort de Godolphin, influencé par la duchesse, dont la nature bien autrement irritable souffrait chaque jour davantage, il se décida à quitter l’Angleterre. Lorsqu’il sollicita la faveur de présenter ses devoirs à la reine, elle refusa et dit froidement : « Le duc fait bien de s’éloigner. »

Ses anciens alliés se montrèrent plus reconnaissans pour les services passés. En arrivant sur le continent, raconte Alison, auteur d’une Vie de Marlborough, il fut reçu avec des démonstrations