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musique de Lulli, les machines de Vigarani eurent plus de part au succès que la prose de Molière. On n’était pas là réuni en académie pour juger un morceau de littérature ; on était devant une scène improvisée, dans le parc, après le bal, avant le souper servi dans le labyrinthe et le concert caché dans les charmilles. Le roi était là, et la reine, —


Le roy, brillant comme un soleil,
En habit plein de pierrerie,
De galons et de broderie…


Monsieur aussi, et Henriette d’Angleterre, et toute « cette fine noblesse » à qui devaient tant plaire des répliques dans le goût de celle-ci : « Eh madame ! il est de certaines faiblesses qui ne sont point honteuses et qu’il est beau même d’avoir dans les plus hauts degrés de gloire ! » — Entendez à demi-mot, fines oreilles « de diamans éclairées !.. »

Alexandre aujourd’hui nous paraît fade ; apparemment notre goût n’étonnerait pas Robinet. Il est allé voir ce héros représenté par La Grange au Palais-Royal ; après l’avoir loué comme il convient, il ajoute tout doucement :


D’ailleurs il me paraît plus tendre
Que l’ancien Alexandre.


Mais quoi ! ce nouvel Alexandre n’a pas seulement pour excuse celle que Robinet lui suggère, à savoir qu’ici sa flamme a pour objet Mlle Molière ; à l’hôtel de Bourgogne, où il figure sous les traits de Floridor, — on sait que la pièce fut représentée en même temps sur les deux théâtres, — Alexandre n’a pas seulement cette raison d’être galant que sa Cléophile est la Dennebault, rivale en beauté de la Des Œillets qui fait Ariane ; non, non, mais sur l’une et l’autre scène le héros veut plaire à l’assistance : or, quelle est-elle, de grâce ? Une gazette de Subligny nous l’apprend, laquelle est proprement « une soirée au Palais-Royal, » la soirée d’un vendredi de décembre 1665 : Monsieur est là et Madame, et Condé et d’Enghien, et tant d’autres qui se délassent des fatigues de la guerre par les veilles de la cour ; et pendant que les madrigaux se déroulent magnifiquement sur la scène, les vaillans gentilshommes se penchent à l’oreille des belles dames.

Aussi le succès est tel qu’à peine quelques jours après, la comtesse d’Armagnac ayant l’honneur de traiter le roi, Alexandre figure sur le programme de la fête : — Elle compose son cadeau, dit expressément Robinet, — d’un souper, d’un bal,


Et (jugez si c’est là l’entendre)
De Monsieur le Grand Alexandre.