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unissions avec elle, ce ne serait que pour menacer quoiqu’un, ou pour repousser la menace de quelqu’un. De là les appréhensions et les colères qui se sont manifestées à Berlin chaque fois que depuis 1870, il nous est arrivé de faire des avances à la Russie ou d’en recevoir d’elle. Il était impossible qu’on ne nous prêtât pas des intentions hostiles et qu’on ne cherchât pas à les prévenir. Ce qui nous est arrivé avec la Russie nous serait arrivé d’ailleurs avec toute autre puissance. Dans l’état actuel de l’Europe, nous ne pouvions entretenir des relations d’entente intime qu’avec une seule nation : l’Angleterre. L’Autriche est tellement inféodée à l’Allemagne que, si nous tentions de nous rapprocher d’elle, nous inspirerions à Berlin Is plus graves soupçons. L’Italie est notre rivale sur lui Méditerranée. S’allier à l’une ou à l’autre eût été montrer que nous étions prêts à faire les plus grands sacrifices ou à courir les plus grosses aventures en vue d’une action qui aurait été nécessairement belliqueuse.

Le congrès de Berlin a mis un terme à toutes les démarches qui nous donnaient l’apparence de préparer une alliance en Europe pour une politique assurément défensive, mais qu’on se plaisait à regarder comme offensive. Imitant avec habileté l’exemple de la Russie après la guerre de Crimée, M. Waddington chercha les moyens de compenser les pertes que nous avions faites sur nos frontières, et que nous ne pouvions pas réparer directement. Ce moyen était facile à trouver. Sans doute nous n’avions pas une Asie à conquérir, mais la France a présenté toujours un double caractère : celui de nation continentale et celui de nation méditerranéenne. Vaincue sur le continent, la Méditerranée lui restait. En tournant de ce côté sa politique, elle rassurait ceux qui craignaient de lui voir poursuivre en Europe des projets de revanche immédiate ou de vengeance prématurée. Elle montrait qu’elle était sincèrement résolue à se recueillir, puisqu’elle employait ses forces à des entreprises où il était difficile qu’elle rencontrât l’Allemagne non-seulement comme ennemie, mais même comme rivale. L’Allemagne, en effet, n’a pas d’intérêts directs sur la Méditerranée, et si son alliée, l’Autriche, nourrit de grandes ambitions orientales, c’est dans la presqu’île des Balkans, non en Asie et en Afrique, que se portent ses vues. L’Asie et l’Afrique étaient donc ouvertes devant nous ; nous n’avions à y compter réellement qu’avec l’Angleterre. Or, quoi qu’on en ait dit, quoi qu’en disent encore tant de personnes des deux côtés de la Manche, nos intérêts et ceux de l’Angleterre, dans l’Orient asiatique et africain, loin d’être opposés, sont absolument identiques. Pour des causes diverses et à des degrés différens, nous exerçons, les Anglais et nous, en Asie-Mineure, en Syrie, en Égypte, une influence considérable et qui ne saurait que s’accroître chaque jour. Mais comme