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par un cabinet plus impuissant encore. Sans aucun souci de ce qui se passait en Orient, des conflits terribles qui pouvaient éclater, des pertes irréparables que nous risquions d’y taire, les députés sont allés jouir des délices des vacances, avec la satisfaction du devoir accompli. Ils ont le droit de se reposer en effet ; ils ont fait de bonne besogne. Il n’y a plus de gouvernement en France au sens vrai du mot : le pouvoir y est tellement abaissé qu’il n’existe plus qu’à la condition de demeurer dans l’immobilité absolue. Il a reçu la consigne de l’abstention, de l’effacement, de l’anéantissement ; il est réduit au nirvana bouddhique : il ne peut vivre qu’à la condition de faire le mort. Débile et exsangue, on ne lui permet qu’une politique débile et sans nerf. Qu’il se garde bien d’entendre les bruits qui résonnent autour de lui ! L’écroulement de l’œuvre séculaire de la France en Orient ne doit pas le réveiller de sa torpeur. La chambre l’a endormi au départ, elle veut le retrouver endormi au retour. Peut-être ce rôle de sourd et muet imposé au pouvoir exécutif réalise-t-il l’idéal de nos doctrinaires démocratiques ; mais il reste à savoir s’il est compatible avec la sécurité d’un grand pays dont les intérêts sont entremêlés avec ceux du monde entier. Dans tous les cas, le moment est bien mal choisi pour faire l’expérience d’un gouvernement de Belle au bois dormant. Il est difficile que quelques esprits chagrins, établissant une comparaison entre ce qui se passe en France et ce qui se passe en Angleterre, entre la conduite d’un pays républicain et celle d’un pays monarchique, ne se demandent pas si les pays républicains sont incapables avoir une politique extérieure et si, en ce point du moins, la république n’est pas une forme politique inférieure à la monarchie.

On ne saurait nier, en effet, les terribles inconvéniens du régime parlementaire tel qu’il est compris et pratiqué depuis quelques années chez nous, tel que les radicaux soutiennent qu’il doit être constamment compris et pratiqué sous une république. Nous avons deux chambres, à la vérité ; mais on a pu voir tout récemment de quel faible poids l’opinion du sénat sur les affaires extérieures pesait dans la balance des résolutions gouvernementales. Et pourtant le sénat, c’est incontestable, contient un bien plus grand nombre d’hommes connaissant les affaires extérieures que la chambre des députés. Il est peuplé d’ambassadeurs, de diplomates, d’anciens ministres. Son avis presque unanime n’a compté pour rien. Ce sont les caprices changeans de la chambre des députés qui ont décidé de l’attitude de la France. Une majorité mobile, profondément ignorante en matière diplomatique, n’ayant que des notions confuses sur les grands intérêts du pays, et préférant de beaucoup à ces intérêts le triomphe de petites haines, de médiocres rancunes, a proclamé,