Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vertu de la communauté des idées, de la similitude des sentimens. Les peuples sont les vrais alliés, les seuls alliés de la république française. Attachons-nous les peuples en défendant leur cause contre celle de leurs maîtres, en favorisant leurs entreprises d’indépendance. De cette manière nous pourrons avoir tous les gouvernemens contre nous ; mais qu’importe ! puisque nous aurons pour nous tous les sujets. Et comme il nous faut l’affection de tous les peuples indistinctement, défendons-nous du désir d’en dominer aucun ! On dit qu’il existe des races inférieures qui ont besoin d’être dirigées et conduites ; c’est une erreur ; toutes les races, si arriérées qu’elles soient, sont capables de supporter la liberté ; les principes de 89 ont la valeur d’un dogme ; ils s’appliquent aussi bien aux Arabes, aux Indiens ou aux Zoulous qu’aux Français et aux Anglais. La force et la vertu de ces principes sont absolues. Et s’il était vrai d’ailleurs que quelques races ne fussent pas capables de les comprendre et de les pratiquer, ce ne serait point une raison pour justifier Sa prétention de gouverner ces races. Il y a dans la domination quelque chose d’avilissant pour ceux qui l’exercent encore plus que pour ceux qui la subissent. Une nation républicaine ne peut que laisser aux monarchies ces ambitions de pouvoir et de puissance pour lesquelles elle n’est point faite.

Énoncer de pareilles doctrines, c’est les réfuter. Les radicaux d’aujourd’hui ne les ont point inventées ; la révolution française les avait proclamées avant eux. La constituante n’avait-elle pas solennellement déclaré que la France ne sortirait jamais de ses frontières ? En exécution de cette promesse, la France révolutionnaire s’est emparée de la ligne du Rhin et a couvert l’Europe de ses conquêtes. Il y a loin, on le voit, de la théorie à la pratique. C’est que la force des choses prévaut toujours contre les faux systèmes. Il n’est point vrai que les peuples soient tous des frères et les tyrans des ennemis. Dans la lutte pour la vie que se livrent les nations connue les individus, les intérêts sont souvent opposés, et c’est ce qui fait que les gouvernemens populaires ne se sont jamais montrés moins belliqueux que les gouvernemens absolus. Notre globe renferme un certain nombre de contrées particulièrement favorisées du ciel, des sources de puissance et de fortune que tout le n)onde désire posséder ; et comme tout le monde ne peut pas les posséder à la fois, de là vient le conflit incessant des prétentions et des convoitises qui a commencé avec l’humanité, qui ne finira qu’avec elle. C’est une dure loi, mais elle est inéluctable. Aucun évangile politique, aucune utopie d’union et de fraternité ne sauraient la détruire. Au milieu de la continuelle mobilité des idées, des mœurs, des croyances, des institutions nationales, plusieurs choses demeurent permanentes. La