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pour cela, comme on ose le prétendre, été avilis ? Les radicaux se trompent lorsqu’ils soutiennent que la domination produit sur ceux qui l’exercent un effet délétère ; elle est, au contraire, pour une grande nation qui a des forces immenses à dépenser, des idées généreuses à répandre, des germes de progrès à semer, le plus incontestable des droits, le plus noble des devoirs. Si la France parvenait à s’établir définitivement au nord de l’Afrique, à pénétrer jusqu’au centre, à faire sentir son influence dans tout le Sahara et à gagner le Soudan ; si dans ces immenses régions où ne règnent aujourd’hui que le fanatisme et le brigandage, elle apportait, fût-ce au prix de beaucoup de sang versé, la paix, le commerce, la tolérance, qui pourrait dire qu’elle a fait un mauvais usage de sa force ? Bien loin d’être affaiblie ou corrompue par le succès de cette mission glorieuse, elle y acquerrait une nouvelle énergie morale. Le sentiment d’une œuvre aussi belle relèverait à ses propres yeux ; ce qu’elle aurait fait au dehors, elle en profiterait au dedans. Avoir appris à des millions d’hommes la civilisation et la liberté la remplirait de cette fierté qui fait les grands peuples et qui ne disparaît qu’aux jours de décadence.

Ces jours ont-ils commencé pour nous ? À Dieu ne plaise que je le pense ! malgré les signes mauvais qui apparaissent chaque jour et que j’ai signalés sans hésiter, car la république et la démocratie ont besoin qu’on leur montre avec franchise la vérité tout entière. M. Waddington n’a pas craint de dire au sénat : « L’empire nous a fait perdre l’Alsace et la Lorraine ; la république est en train de nous faire perdre la Méditerranée. « Il faut y prendre bien garde, car cette seconde perte ne serait pas moins grave, elle serait plus grave même que la première. Elle aurait, en outre, l’inconvénient qu’on ne la sentirait pas tout de suite et que peut-être ne s’en apercevrait-on que lorsqu’elle serait irréparable. L’Alsace et la Lorraine étant comprises dans le cercle de nos frontières, leur disparition y a laissé un vide toujours béant. La plaie peut se cicatriser, qu’importe ! le membre n’y est plus ; chaque mouvement du grand corps de la France nous rappelle qu’il a été enlevé. Il n’en serait point de même de la Méditerranée. Le prolongement de la France, qui couvre de ses ramifications l’Orient et l’Afrique, pourrait supporter des amputations nombreuses et cruelles sans qu’aussitôt nous eussions la sensation d’un lambeau de chair qui nous serait arraché. Mais peu à peu la triste, la douloureuse réalité apparaîtrait avec ses funestes conséquences. Nous sommes très fiers de notre richesse, c’est la consolation qui nous a soulagés au lendemain de nos désastres. Mais qu’en resterait-il si tout le commerce oriental nous échappait et surtout si les grandes voies du commerce