Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 53.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouvraient à tout coup leur blessure, tandis que des maçonneries d’un mètre d’épaisseur suffisaient à briser l’effort de l’artillerie, sans avoir à redouter les chances très incertaines des feux courbes et des coups d’embrasures, et ainsi tout justifiait la formule reçue que les six pièces d’une batterie valaient les cent vingt canons d’un vaisseau de ligne. Ces ouvrages coûtaient si peu à établir et à armer qu’ils s’élevaient partout où le littoral offrait à l’adversaire un refuge ou un débarquement facile. C’était d’ailleurs la seule manière de protéger alors les côtes. Leur défense par des forces prêtes à se porter d’un centre stratégique sur les points menacés n’était pas d’une telle époque : navales, ces forces soumises au caprice des élémens eussent été d’une efficacité précaire ; terrestres, elles eussent été d’une inefficacité certaine. Avec les signaux alors en usage, si imparfaits durant le jour et interrompus par l’obscurité, des troupes ne pouvaient surveiller le rivage à distance. Même informées dès que l’ennemi aurait été visible, en marche aussitôt qu’averties, et n’ayant pas à franchir plus de distance que l’agresseur,-elles fussent arrivées trop tard : les troupes, surtout avec de l’artillerie et du bagage, ne marchaient pas aussi vite sur les meilleures routes (et les routes, même mauvaises, étaient rares sur le littoral) que sur la mer des navires poussés par un bon vent. Il fallait donc qu’une protection permanente fût organisée sur les points vulnérables, avec un personnel toujours à portée de mèche de ses canons. Pour quelques parties du littoral, contenant ou de grandes richesses ou une population dense, la protection devait être plus complète. Ce n’était pas assez qu’elles pussent repousser une attaque, il fallait qu’elles ne pussent pas être attaquées : sécurité facile encore à obtenir. Les ports et les arsenaux avaient à craindre ou un bombardement du large ou une attaque de vive force. Pour les rendre inaccessibles à un bombardement, il suffisait de placer leurs fronts de défense à 1,800 mètres en avant des villes ou arsenaux à protéger. Interdire l’entrée des rades à un ennemi résolu à les forcer n’était pas aussi simple ; mais on tenait pour fermées les passes qui offraient une largeur moindre de 2,000 mètres entre des batteries croisant leurs feux. Défiler à cette portée des ouvrages, et, — comme la configuration des côtes et la direction du vent ne permettaient pas d’ordinaire d’entrer sans manœuvre dans les rades, — s’exposer au tir d’enfilade, alors le plus dangereux, se laisser porter tour à tour sous la bouche des canons qui couronnaient l’un et l’autre bord et pouvaient lancer deux coups par minute, était pour un navire la plus hasardeuse des entreprises. Eût-il franchi les défenses avancées, s’il ouvrait le feu contre une place, c’était encore la lutte des murailles de bois contre les murs de pierre ; s’il attaquait les navires au mouillage, les combattre n’était pas les surprendre, la voile ne favorisait pas les actions