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la tâche jusque-là confiée aux hommes, et une partie de ceux qui vivaient courbés sur la rame put suffire à orienter l’appareil. L’équipage des vaisseaux se divisait en deux principaux groupes : les gabiers, occupés à manœuvrer les voiles et les canonniers, à servir les pièces. Quant à son tour apparut la vapeur, le rôle des gabiers diminua, il disparut sur les navires sans mâture. Quand les cent vingt canons des anciens calibres firent place à quelques pièces trop lourdes pour la main de l’homme, leur manœuvre et jusqu’au transport des projectiles furent assurés par des moyens mécaniques, la plus grande partie des servans devint inutile. La grandeur croissante des navires, comme celle de l’artillerie, loin de rendre nécessaire l’accroissement des équipages, a eu pour conséquence sa réduction ; le matériel, chaînes, ancres, cabestans, gouvernails, autrefois mus par l’homme, a pris des proportions en rapport avec les masses auxquelles il est appliqué ; les manœuvres de force qui occupaient en grand nombre les matelots de pont sont pour la plupart accomplies par l’eau ou par la vapeur. Voilà comment les douze cents hommes du vaisseau de ligne sont réduits à quatre cents hommes sur les plus puissans navires. On en comptera moins encore dans l’avenir. C’est le caractère général des manœuvres de bord qu’elles s’appliquent à un matériel dont la place est constante, s’accomplissent toujours par des mouvemens semblables et, par conséquent, peuvent s’exécuter par des moyens mécaniques : un navire en action est une usine en travail. Dans l’un comme dans l’autre, les mécanismes ont plus de puissance, de régularité, de promptitude que les forces humaines. S’ils ne les ont pas plus tôt et plus complètement remplacées, c’est qu’ils étaient trop imparfaits, trop encombrans, trop coûteux ; mais chaque jour, les faisant plus maniables sous un plus faible volume, généralise leur emploi. Cette transformation qui s’accomplit partout s’accomplira sur les navires ; l’homme continuera à y céder la place aux moteurs inanimés ; les flottes seront de moins en moins des « armées navales, » de plus en plus des « machines de guerre. »

Leur objectif principal restera-t-il la guerre d’escadres ? Son but ne saurait plus être d’affaiblir l’ennemi par des pertes d’hommes. Dès aujourd’hui, les escadres ne comptent plus que quelques milliers de matelots, et les batailles les plus disputées sur mer feront couler moins de sang que sur terre un engagement de brigade. Reste à détruire comme autrefois l’instrument de combat ; mais l’avantage est moins considérable. Les vaisseaux actuels ne gardent plus désormais aussi longtemps qu’ils flottent leur efficacité militaire. Si nouveaux soient-ils, l’apparition de types plus parfaits les menace de déchéance ; au moment d’une lutte, la plupart auront perdu de leur valeur, les plus récens ne seront pas destinés à la garder. Mettre