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à l’impression des contemporains de Philippe II ? Ce qu’on peut reprocher à Voltaire, c’est de chercher toujours dans l’histoire un thème contre le fanatisme. Si les historiens modernes ont une préoccupation constante, c’est de se soustraire à toute passion ; volontiers ils se font Espagnols avec les Espagnols, Hollandais avec les Hollandais, Français avec les Français ; à force d’avoir peur de l’injustice, ils deviennent quelquefois injustes. M. Forneron n’est jamais tout à fait impersonnel, il juge parfois le passé avec des idées modernes, mais il ne s’étonne pas que les Espagnols aient conservé un véritable culte pour ce Philippe en qui la grandeur de la nation a été incarnée, qu’elle ait pour lui une admiration ombrageuse, qu’elle aime en lui ses propres défauts, ses propres travers. Il sait faire, dans les grands événemens qu’il raconte, la part du roi et la part de l’homme, séparer ce qui est pour ainsi dire l’ouvrage de la nation et ce qui doit être seulement attribué au souverain. « Philippe II, dit-il, avec raison, n’est pas le seul responsable du rôle violent qu’a joué l’Espagne sous son règne, il n’est pas la cause unique de cette surexcitation fiévreuse. » Il en trouve les causes dans la lutte soutenue si longtemps contre l’islamisme. « Les Espagnols en étaient venus à confondre en un seul amour la patrie et la religion et à ne regarder comme utiles à la nation que le soldat et le prêtre… Ils ont vécu dans un monde de miracles et de prouesses ; ils sont devenus un nouveau peuple de Dieu qui plaçait son honneur dans la foi et dans la guerre. »


I.

Philippe II vint au monde dans le palais de Valladolid, le 21 mai 1527. Sa mère, Isabelle de Portugal, mourut quand il avait douze ans. On est si habitué aujourd’hui à chercher dans tout personnage la trace de ses ascendans, que l’on peut s’étonner que M. Forneron dise si peu de chose de la mère de Philippe. Il la laisse deviner insensible, mais l’étiquette espagnole n’étouffé peut-être pas forcément la sensibilité. « Elle vivait, dit-il, recluse, au milieu de femmes assises dans un demi-jour, qui ne parlaient pas et qui consacraient de longues heures à la prière. « Charles-Quint avait épousé Isabelle pour sa riche dot ; elle lui apporta neuf cent mille écus d’or ; le Portugal avait un trésor sans cesse grossi par le Nouveau-Monde ; l’Espagne avait aussi le sien, mais les guerres continuelles le laissaient souvent vide. Titien a laissé d’Isabelle de Portugal un admirable portrait, qui est au musée de Madrid : un peu maigre, avec de beaux traits empreints de noblesse, de grands yeux fendus en amande, des mains fines, aux doigts effilés, c’est ainsi qu’il représente la mère de Philippe. Charles-Quint l’aimait, autant qu’il