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de ne pas voir le mien détruit en fait. C’est donc un rapport contractuel qui établit à la fois le fondement et la borne du droit de propriété chez les uns et du droit de vivre chez les autres. Le premier n’est pas plus absolu que le second, mais on ne peut méconnaître l’un sans méconnaître l’autre.

De ce que le devoir philanthropique d’assistance ne peut être illimité et inconditionnel, on ne peut donc conclure avec Malthus et les naturalistes de son école que ce devoir n’existe pas. Si une telle conclusion était logique, il faudrait alors l’appliquer à tous les droits réels, car il n’en est aucun qui soit absolu et sans limites, pas plus le droit de propriété que les autres. La seule conclusion légitime, c’est qu’il faut renfermer l’assistance dans certaines bornes, la restreindre par la considération d’autres droits, la soumettre à des conditions, en faire, par conséquent, l’objet d’un contrat, réaliser ainsi sur ce point comme sur tous les autres l’idéal de la justice contractuelle. La limite pratique d’un droit est toujours dans un autre droit ; par exemple, la limite du droit de propriété est dans le droit de circulation, dans le droit d’expropriation pour cause d’utilité publique, etc., et réciproquement ; le moyen de fixer cette limite, c’est le libre débat entre les parties, lequel aboutit à un contrat. Tout politique qui néglige de donner aux lois qu’il promulgue la forme contractuelle prépare pour la société des conflits de toute sorte et laisse dans la loi même un germe de guerre.

Mais si la vraie philanthropie, qui ne fait qu’un avec la justice sociale, doit considérer le présent et le passé même, elle doit aussi regarder l’avenir. C’est à ce point de vue que les théories de Malthus et de Darwin vont reprendre l’avantage : les considérations empruntées à l’histoire naturelle viendront compléter les considérations morales et juridiques. Déjà nous avons reconnu, avec Malthus et Stuart Mill, qu’on ne saurait faire abstraction de ce point de vue si l’on ne veut pas produire artificiellement, dans un avenir plus ou moins éloigné, une multiplication excessive de l’espèce. Il nous reste à examiner, avec MM. Spencer et Darwin, un autre écueil pour le philanthrope : l’abaissement physique et intellectuel de l’espèce par l’oubli des lois de la sélection naturelle et de l’hérédité.


II.

La philanthropie séparée de la science ne voit que l’influence immédiate des mesures qu’elle propose ; elle néglige entièrement leur influence, infiniment plus importante, sur le physique et le moral des générations futures. Elle oublie que toute mesure nouvelle,