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physique des races par une philanthropie mal entendue. Ces considérations montrent bien que les moralistes, les économistes, les législateurs et les politiques doivent sortir de la routine traditionnelle pour calculer, d’après les lois de la biologie et de la « sociologie » contemporaines, les effets à venir des mesures qu’ils conseillent ou adoptent. Toutefois, il faut se garder d’exagérer la portée et les conséquences du théorème que nous venons d’exposer. Il y a ici des distinctions à faire, et ceux qui s’inspirent de Darwin ne les font pas toujours. Commençons par mettre hors de cause les malades proprement dits, qu’on les secoure à domicile ou dans les hôpitaux. Les maladies, en effet, sont le plus souvent accidentelles, quand elles ne résultent pas d’un défaut originel de constitution ou d’excès volontaires. En soignant des travailleurs atteints par la maladie ou victimes de quelque accident, et en leur permettant de retourner ensuite à leur travail, il est clair qu’on ne rend pas un mauvais service à la société. Supposez que la femme d’un ouvrier bien valide et actif tombe malade, si l’ouvrier est trop pauvre et si personne ne vient à son secours, il sera obligé de se surmener et de s’épuiser, ce qui sera une perte pour la société entière; les enfans bien constitués qui, si on avait secouru la mère, auraient pu vivre, tomberont malades ou mourront si la famille est réduite à la misère. Faut-il laisser mourir sans pitié ceux que la maladie atteint, comme une armée forcée d’abandonner quiconque tombe en route? C’est ce que ne soutiendra aucun darwiniste de bon sens.

Le théorème de Darwin ne peut donc s’appliquer qu’aux infirmes proprement dits, auxquels la philanthropie donne aussi bien ses secours qu’aux hommes atteints par des maladies accidentelles. Mais, d’abord, on pourrait faire observer à M. Spencer et aux darwinistes que la population infirme des hôpitaux ou le nombre des assistés à domicile est une faible partie de la nation ; il n’y a pas grand inconvénient pour les valides à secourir ces invalides. De plus, les infirmes des hospices ne contractent guère mariage et on n’a pas beaucoup à craindre leur postérité. Au reste, on pourrait mettre des conditions et parfois des empêchemens légaux à leur mariage, si la chose devenait nécessaire, il en est de même des infirmes qui reçoivent des secours à domicile : quand ils ont quelque infirmité physique notoire, ils ne songent guère et ne trouvent guère à se marier. De plus, le théorème darwiniste prouve trop, car il ne s’applique pas seulement aux faibles de corps que la philanthropie prend sous sa protection ; pour être logique, il faudrait le transporter au sein même de chaque famille et soutenir que tout enfant mal conformé ou débile ne mérite pas de vivre. On ne dira plus :