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la marche de la civilisation inévitable (ajoutons la marche de la philanthropie), et la marche de la civilisation doit inévitablement ramener la fécondité à ses conditions normales. Ainsi se résoudra peut-être le problème qui avait tant inquiété Malthus. Par là aussi on voit que la philanthropie scientifique, en répandant l’instruction avec le bien-être, et en élevant le niveau intellectuel des classes misérables, tend à établir chez elles l’équilibre de la fécondité et des fonctions intellectuelles, par conséquent à diminuer cette prolifération aveugle et parfois excessive qui inquiète les économistes sinon pour le présent, du moins pour l’avenir. Ici encore les avantages de la philanthropie compensent, et au-delà, des inconvéniens qui n’ont rien d’essentiel.


V.

S’il importe d’établir en principe, comme nous avons essayé de le faire, la légitimité et l’utilité de la philanthropie, il n’est pas moins nécessaire d’en fixer les règles et les limites dans l’application. Une philanthropie éclairée ne doit pas accorder ses bienfaits au hasard et sans condition ; elle doit être justice réparative et préventive tout ensemble, au lieu de demeurer cette antique « charité chrétienne, » qui, comme l’amour, a trop souvent un bandeau sur les yeux. Or la justice réparative doit s’efforcer de rétablir les conditions normales de l’association humaine, du « contrat social. » Ces conditions normales consistent en ce que les contractans ou associés doivent être vraiment libres et majeurs. La société doit donc veiller à ce que toute minorité, toute servitude, tout excès d’inégalité qui se produit par l’effet fatal des lois de la nature ou des lois sociales elles-mêmes soit supprimé ou allégé dans la mesure du possible. Telle est la règle générale qu’il faut poser tout d’abord. Passons maintenant aux principales applications.

D’abord, quels sont les meilleurs moyens dont dispose la bienfaisance, ou plutôt la justice, à l’égard des déshérités de la vie? Selon nous, ce sont l’instruction et le travail, non l’aumône traditionnelle. L’instruction ne peut être qu’utile : elle tend à développer les intelligences, elle est un secours qui relève et non un secours qui abaisse. En instruisant, loin de favoriser « la propagation des imbéciles, » on prépare des générations de plus en plus intelligentes et a capables. » La portée de l’instruction s’étend à toutes les servitudes, à toutes les misères, principalement à celle qui est l’origine de toutes les autres, la servitude intellectuelle, la misère intellectuelle. L’ignorance des choses les plus essentielles à la vie sociale et à la vie privée elle-même, voilà le pire état de minorité.