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quelque peu hasardeux de vouloir en tirer une opinion, positivement cartésienne, sur la valeur de la règle des trois unités, ou sur l’emploi de la réalité dans le roman. Mais c’est justement ici l’originalité de la tentative de M. Krantz.

A la vérité, pas un historien de la littérature n’avait omis, rencontrant ce grand nom de Descartes et ce mémorable Discours de la méthode, après avoir jugé l’œuvre et caractérisé l’homme, de rappeler en quelques mots l’influence qu’ils avaient exercée sur la littérature française du XVIIe siècle. Quelques-uns même avaient poussé plus avant et, dans les chefs-d’œuvre de cette littérature, dans les sermons de Bossuet ou dans les tragédies de Racine, essayé de reconnaître des traces de cartésianisme. Mais ce qu’aucun d’eux n’avait tenté, ce qui restait par conséquent à faire, et ce qu’on ne pouvait attendre enfin que d’un esprit également versé dans la spéculation philosophique et dans l’analyse littéraire, c’était de mettre au grand jour les preuves de cette influence et d’insérer, pour ainsi dire, toute la longue série des moyens termes entre ces deux extrêmes : une formule métaphysique et l’œuvre d’art visiblement réalisée par l’orateur et le poète. Tout le monde aussi, bien longtemps avant que parût cette belle Histoire de la littérature anglaise, de M. Taine, savait l’importance historique de la race, du milieu, du moment; que, selon le mot de Voltaire, « tout ce qui nous entoure influe sur nous; » et selon le mot de Fénelon, « que certains climats sont plus heureux que d’autres pour certains talens. » Tout le monde savait également, et répétait au besoin, qu’une littérature est « l’expression » d’une société; sauf, il est vrai, les cas assez nombreux où l’on pourrait dire, avec autant de justesse, qu’elle en est exactement l’antithèse. La nouveauté du livre n’en était pas moins dans le rapprochement de ces deux vérités banales, comme dans les conséquences, discutables si l’on veut, mais à coup sûr originales, que le philosophe dégageait de cet heureux rapprochement. M. Krantz a trop d’esprit pour ne pas nous pardonner si nous attendons plusieurs années encore à le mettre en parallèle avec son maître, et le nôtre. Mais on peut bien dire au moins que si l’intérêt de son Essai sur l’Esthétique de Descartes est quelque part, il est là, dans ce rapprochement d’une métaphysique et d’une littérature, et dans l’habile emploi qu’il en a su faire pour l’éclaircissement de l’une et de l’autre à la fois, — mais surtout pour la démonstration de sa thèse.

Car on sent bien que ce rapprochement n’est qu’une méthode; et que, s’il y a des points de contact entre l’esthétique de Descartes et la poétique de Boileau, par exemple cette constatation toute; nue, qu’il y a des points de contact, n’est ni ne peut être à elle-même son propre but. Et de fait ce que; nous donne ici M. Krantz, ou du moins ce qu’il s’est proposé, c’est tout simplement, selon certaines idées à lui bien